Des managers suzerains! Par Liliane Held-Khawam

Un tsunami a déferlé le 3 Mars sur la Suisse. L’inititiative de Thomas Minder contre les rémunérations abusives a viré au plébiscite. 67.9% de suisses ont marqué leur désaccord avec une superélite de managers issue des entreprises du SMI. Quant aux autorités fédérales, elles ramassent une claque au passage. Elles ont montré une incapacité constante à gérer les abus en tout genre (Swissair, la crise bien américaine des subprimes des grandes banques, des bonus mirifiques malgré un sauvetage avec l’argent public, le scandale du Libor, des infractiona pénales en tout genre,..). En 2012 ces mêmes autorités ont battu des records de déni du citoyen, du contribuable et de la législation au profit de ces supranationales. La cerise sur le gâteau fut la leçon de morale sur l’argent propre délivrée au peuple bien-sûr par la cheffe des finances alors que les véritables coupables de fraudes en tout genre bénéficiaient d’une totale immunité. Pire ces responsables de la crise mondiale ont reçu en Suisse des promotions au sein des banques qu’ils ont eux-mêmes contribuées à esquinter. D’autres ont obtenu des postes au sein des services publics afin de veiller à la mise en place d’une pseudo-stratégie vite abandonnée d’argent propre…

La dérive de ce système où le plus fort impose sa loi et fait payer à la collectivité ses prises de risque voire ses crimes finit par casser les institutions démocratiques et la souveraineté du citoyen. Les partis classiques droite-gauche sont dépassés. Les autorités sont tellement constantes dans leur impuissance réelle ou simulée à gérer cette superélite qu’elles donnent le sentiment d’être ses auxiliaires. Bref, on voit se lever une mobilisation citoyenne visant à freiner cette complaisance des autorités.

Les superbonus décriés ne sont qu’un des symptômes d’un système qui résulte d’une puissante dynamique générée par le mixage de 3 facteurs : la globalisation, la financiarisation et la technologie.

Ce phénomène visible depuis une quinzaine d’années est issu des restructurations/fusions massives d’entreprises au label prestigieux sur le plan mondial. Ces gros employeurs multinationaux très impliqués dans le tissu national offraient une base stable à la population active. Fréquemment centenaires, leur succès était celui de générations d’entrepreneurs et de collaborateurs qui avaient mis en commun leurs talents au service de la qualité et de l’économie réelle de leur pays.

Mondialisation. Globalisation. La réorganisation est devenue sans raison objective un must. On a fait alors appel à l’un ou l’autre des cabinets de conseils initiateurs de mondialisation. Le plus grand accompagne 93 des 100 plus grandes entreprises du monde et 50 gouvernements. La logique implacable de croissance s’appuie principalement sur deux axes. Le premier vise à se positionner face aux concurrents pour les supplanter. Fusions et acquisitions se succèdent. La guerre des prix qui bénéficie dans un premier temps au client a pour principal objectif de liquider la concurrence. Les prix peuvent ensuite grimper à nouveau (pratique du hard discount). Le deuxième axe agit sur les potentialités du marché. Cette cartographie cible la croissance financière maximale possible dont les indicateurs de succès sont le chiffre d’affaires et la marge bénéficiaire. Délocalisations, sous-traitance à bas coûts, salaires low cost, licenciements massifs, échange de population active entre des seniors expérimentés et des juniors en CDD ou stagiaires moins chers mais ignorants des règles et pratiques de gestion… . L’argent, toujours l’argent, rien que l’argent !!! L’entreprise est devenue l’otage du dieu argent.

On a pu ainsi abandonner des secteurs d’activités moyennement ou peu rentables. Ailleurs, c’est une entreprise qui a licencié pour réduire ses coûts la veille d’un rendez-vous financier important. Tant pis pour les emplois… Les indicateurs financiers priment. Aujourd’hui, bon nombre de produits de labels prestigieux et de grandes surfaces ne se différencient en fait que par le visuel et le marketing. La production standardisée, massifiée, centralisée et bon marché se trouve quelque part dans le monde. Pendant ce temps, le client occidental continue de payer la marque au prix fort malgré la banalisation de sa qualité. Des produits  dangereux pour la santé du consommateur sont mis à jour régulièrement… Sans suite ! De grandes enseignes de vêtements utilisent des produits cancérigènes… Sans suite ! Quelques mois plus tard, cette même entreprise annonce une croissance de sa marge. Le marché financier est content. Les marges devenues énormes continuent de croître même quand le chiffre d’affaires baisse (Novartis 2012).

Pour faire autant d’argent, on confie donc la production à des gens sans historique industriel. Leurs compétences sont insuffisantes et leur sérieux non éprouvé. Leur principale et parfois unique compétence réside dans leur faible prétention financière… La centralisation de la production leur confère un pouvoir réel qui s’amplifie d’autant plus que la concurrence tend à s’estomper quand elle n’est pas cartellisée.

La diffusion de cette production est devenue virtuelle. Elle se fait via des traders. Le contrôle qualité se relâche. Le risque de frelatage augmente. On l’a vu avec la présence d’huile de moteur dans l’huile alimentaire ou dans le «horsegate»où un producteur vend un même produit sous une multitude de formes, de pays et de labels. Ce sont même les normes sanitaires nationales ou européennes qui s’adaptent à la régression qualitative des produits. Tant pis pour la qualité. Les leviers financiers de la globalisation fonctionnent. Les milliardaires se multiplient.

Impossible de parler de globalisation sans parler de financiarisation. Une politique d’expansion a besoin d’argent frais. Ainsi, bon nombre d’entreprises ont vendu des actifs juteux hors des métiers ciblés (core business) pour racheter la concurrence. Des «chevaux crevés» ont eu raison du patrimoine de Swissair . Dans un deuxième temps, la croissance exige un endettement auprès de la Haute Finance. Celui-ci sera fatal pour l’autonomie de ces géants. Ainsi une banque définit lors de l’octroi d’un crédit le rythme des amortissements. C’est un refus de prolonger les crédits qui a cloué les avions de Swissair au sol. Un créancier comme UBS dont le premier actionnaire est le fonds souverain de Singapour n’a-t-il pas le pouvoir d’encourager ses débiteurs à délocaliser vers ce pays? Cela lui est d’autant plus facile qu’elle est l’une des banques phares de ce pays. La HF détient en tant que créancière un droit de vie ou de mort sur les entreprises cotées en bourse et leurs emplois. UBS va plus loin en Suisse en imposant sa vision dans les coins et recoins de la vie du pays (Université, politique,..).

La technologie vient accélérer cette dynamique de croissance. La robotique par exemple devient moins chère que le plus bas des bas salaires du monde. Ainsi, en Chine une entreprise a remplacé 500’000 ouvriers par des robots. Au Japon, une entreprise neuve de 15 ha, entièrement automatisée, produisant pour 2 Milliards de dollars par mois fonctionne avec 15 salariés…

La mondialisation a enfanté un système à haute concentration de capitaux mais puissamment destructeur d’emplois. Cela est résumé par des bourses qui évoluent à l’opposé des niveaux de chômage et de paupérisation. Elle engendre la captation de l’outil de production par la HF doublé d’un sentiment de toute-puissance de la super élite qui est aux commandes. C’est -dans une indifférence totale à la loi Minder, à l’opinion publique, aux normes de capitalisation et au sauvetage par l’argent public- que la direction de UBS va se distribuer le 2 Mai 2013 à Zürich 2.5mia de Francs pour se féliciter de la perte de 2.51mia sur 2012 et la promesse de destruction de 10’000 emplois.

Mammon, le dieu argent, soumet l’humanité à un asservissement grâce à un petit club de managers mondialistes qui se croient investis d’un pouvoir et une puissance totalement fantasmés car inhumains et nuisibles. Ils sont un leurre dans le piège duquel seul un narcissique peut tomber. La vie humaine reprendra certainement ses droits. En attendant le réveil des citoyens, les acteurs de l’économie réelle (la population active,  les patrons de PME, artisans, indépendants,..) peuvent avoir quelques sueurs froides….

Liliane Held-Khawam

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