Evasion fiscale en France: les hypocrites rattrapés? Par Laurent Franceschetti

Si on met côte à côte l »affaire Tiki » (UMP 2015) et « l’affaire Cahuzac » (Socialistes, 2014) qu’est-ce que cela nous dit à propos des couches hautes de la classe politique française, que ce soit de gauche ou de droite? Voilà deux porte-parole, qui étaient tous deux aux marges de la loi et qui hurlaient avec les loups. On leur aurait pardonné leurs manquements, à la rigueur. Ce qu’on ne peut pas leur pardonner, c’était d’être montés au créneau avec un discours de moralisateurs et d’avoir montré du doigt et menacé d’autres « pécheurs » des foudres de l’enfer, et de leur avoir demandé de se repentir à propos de ce qui n’était que leur propre « péché ». La littérature et les livres d’histoire est pleine de ces Tartufes, qui ont fini par se montrer exactement ce qu’ils critiquaient.

À ce compte, on comprend que les discours moralisateurs aient commencé à lasser notre société et qu’on ait commencé à leur préférer des discours juridiques.

Le lourd poids du qu’en-dira-t-on en France

L’hypocrisie des prédicateurs comme Cahuzac et Tiki, qui auraient dû balayer devant leur porte, ce n’est pas exactement de la pensée unique. Cette hypocrisie qu’on retrouve en ce moment, dans les cercles politiques de Paris, naît bien sûr d’un environnement rigidement dogmatique, ou le qu’en dira-t-on est si important.

Dans ces milieux n’est plus la morale qui compte; il faut surtout donner l’apparence de la moralité. Et dans ces conditions, ceux qui se trompent (et le philosophe Diogène cherche toujours l’homme honnête avec sa petite lampe, comme partout dans le monde), ces gens n’ont aucune chance de réparer leurs erreurs et d’aller de l’avant. Il leur faudra toujours faire bonne figure devant les électeurs. Donc ils continuent comme avant.

Alors la mauvaise conscience et la terreur d’autrui s’installent. Et le mensonge reste. Ces braves gens, devenus criminels par leur propre discours, ont creusé leur propre tombe. Il leur a fallu crier avec les loups; et il leur a fallu crier plus fort que les autres loups, pour faire bonne mesure. C’est d’ailleurs à ça qu’on les a reconnus. Et dire que s’ils avaient avoué au départ, on leur aurait peut-être pardonné…

Et pourquoi le système se perpétue-t-il? Quand l’un d’eux tombe parce que l’affaire est sortie, ses collègues font bloc pour faire du damage control. Il faut présenter l’hérétique (ou l’ennemi du peuple, selon les préférences idéologiques) comme un accident de parcours. A la sortie des réunions de la cellule de crise, on secoue la tête d’un air affligé devant les caméras. Et l’hypocrisie moralisatrice se perpétue.

Et dans ces conditions (et notamment avec l’affaire Cahuzac), l’insistance de politiciens et journalistes à parler de morale, morale, morale dans des discours accusatoires adressés à autrui, fait plutôt un autre effet: celui d’une auto-accusation. Le citoyen ordinaire, l’électeur, a envie de leur demander : c’est quoi ton problème?

La lutte contre l’évasion fiscale aura lieu partout, sauf en France?

Le problème du moralisateur hypocrite, c’est qu’en France, la vraie lutte contre l’évasion fiscale n’a pas commencé. Tout ce qu’on a donné en pâture jusqu’ici aux citoyens dans cette chasse aux sorcières, c’est les lampistes, ou des personnalités du show business, ou des discours xénophobes contre des pays voisins. Un immense écran de fumée.

Mais, il faut le dire, l’évasion fiscale a fait partie du quotidien de beaucoup de Français, comme la conduite en état d’ébriété ou les dépassements de vitesse. Coincés dans leurs discours de moralisateurs, une bonne partie des médias français sont eux aussi en déni sur la vraie dimension de l’évasion fiscale en France. Bien sûr, la classe politique française est impliquée, certes la crème des hommes d’affaires est impliquée… comme beaucoup de monde. L’économie parallèle est un des cancers de la France, comme les accidents de la route.

La classe politique, le monde des affaires, les journalistes devraient se décider à sortir du déni. Et de la part de ces gens qui ont un rôle à part, en quelque sort en haut et à l’écart de leurs concitoyens, ce n’est pas de la morale, mais de l’arrogance et surtout entretenir le sentiment d’impunité: celui d’être au-dessus des lois de la République.

Il faudrait qu’ils cessent de rejeter leurs propres « fautes » sur les lampistes, les sportifs ou les personnalité du show business, dans cette opération d’enfumage de l’opinion publique. Qu’il se retournent entre eux et cherchent vraiment, parmi eux les organisateurs de l’industrie française de l’évasion fiscale. Les Français ont le droit à la vérité sur ce qui se passe vraiment chez eux.

Comment la classe politique a imposé le silence sur l’évasion fiscale

Vu que le mal était si répandu, que faudrait-il faire? Déballer, déballer, car la plupart de ceux qui avaient fait des manquements seraient rentrés dans le rang.

Mais qu’ont fait les parlementaires au lieu de cela? Ils ont renforcé les peines pécuniaires et de prison à ceux qui avaient déjà fait l’évasion fiscale. Peut-être que la plupart d’entre eux ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont fait. En faisant régner la terreur, ils ont bâillonné l’information sur la vraie étendue de l’évasion fiscale en France et ils se sont assurés du silence de ceux qui en avaient fait.

Ceux qui ont le droit de se dénoncer auprès de la Cellule de régularisation ne sont que les gens ordinaires, ou du moins les lampistes du monde des affaires, du sport et du show business.

Ceux qui sont coupables d’abus de bien sociaux et d’activités occultes (et qui sont donc exclus de la procédure de régularisation), sont précisément ceux qui pourraient être plus proches des grands réseaux. Ce ceux les premiers qui devraient passer à table! Mais les peines encourues sont faramineuses. Dans certains cas, la somme prélevée pourrait être plus élevée que les biens de la personne. Donc ces gens resteront dans l’ombre, car sortir du bois, c’est la mort civile.

La vérité, c’est qu’en France, on s’est assuré du silence des vrais coupables!

Le résultat de cette chape de plomb, est qu’elle pourrait permettre la survie des grands réseaux d’évasion fiscale en France… jusqu’à ce que les affaires sortent quand même. Et là, les politiciens impliqués pourraient alors subir les peines qu’ils ont eux-mêmes édictées. Ils pourraient aussi et surtout pour de grands hypocrites aux yeux des Français.

Qu’ils se mettent à la place de Cahuzac et Tiki, pour imaginer ce qui les attend (mais la pensée à long terme, ce n’est pas ce qui les animés, car autrement ils ne se seraient pas livrés à ce jeu).

La voie vers la sortie de crise

Si la France veut vraiment sortir de la crise de l’évasion fiscale, deux mesures seraient souhaitables:

  1. Mettre la sourdine avec les discours des moralisateurs de l’évasion fiscale qui ne trompent plus personne ou, plutôt, qui attirent l’attention sur ceux qui les prononcent.
  2. Autoriser l’information à circuler. Mais quand on parle d’information, on ne parle n’est pas des listes de lampistes qui ont cinq ans, et qui ont été caviardées.La liberté de la presse, ce serait plutôt les confessions de ceux qui ont monté les structures fiscales, ceux qui ont organisé les réseaux, etc.

Cela demande une amnistie fiscale (ou une régularisation, comme on veut): le pardon en échange d’une pénalité financière et d’informations complètes: c’est-à-dire les complices. Une mesure large valable aussi pour les coupables d’activités occultes et d’abus de biens sociaux. Une amnistie, pour que des dizaines de milliers de Français puissent tous passer à table.

La condition attachée devrait être la suivante: ne jouez plus avec nous et ne recommencez pas, parce qu’autrement ce seront des charges criminelles renforcées. Cette mesure fait partie de tous les manuels de politique. C’est ce qu’on fait dans la plupart des pays européens à propos de l’évasion fiscale. C’est d’ailleurs qu’on avait fait en France après les révolutions.

Pour répondre aimablement à l’argument des « moralisateurs » qui vient spontanément: il y aura toujours ceux qui essaieront de passer entre les gouttes. Si des Français croient que leurs politiciens sont désormais trop indignes de leur confiance, qu’ils demandent à une commission de pays étrangers de surveiller le processus, comme dans les élections dans les pays à risque.

Et pour répondre moins aimablement à aux récalcitrants: « vous avez des intérêts à ce que la vérité ne sorte pas? Vous auriez quelque chose à perdre »?

En conclusion il faut en finir avec le déni politique et l’hypocrisie moralisatrice sur l’évasion fiscale en France,. Et comme un conseil d’ami à ceux qui, en ce moment, se demandent comment faire le damage control sur l’évasion fiscale : de traiter l’opinion publique française comme la Cellule de régularisation du fisc: déballer, déballer, avant que les enquêteurs (du fisc ou des médias) viennent les chercher. Et faciliter la chose avec une loi d’amnistie.

Laurent Franceschetti

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