Le naufrage de la démocratie en quelques secondes. LCP + MàJ de Marianne

Un amendement sur la PMA adopté en force par Richard Ferrand à l’Assemblée ?

Le président de l’Assemblée a fait passer un amendement qui, d’après les images et les témoignages recueillis, avait été rejeté par une majorité de députés. Il a catégoriquement refusé de procéder à un nouveau vote.

On se frotte les yeux après avoir regardé la séquence, puis on lance un nouveau visionnage. Mais rien n’y fait : le vote à l’Assemblée nationale de l’amendement n°2123 à la loi bioéthique, dans la soirée du mercredi 25 septembre, reste un troublant mystère. Dans la vidéo, mise en ligne par la chaîne LCP, Richard Ferrand, qui préside la séance, met aux voix cet amendement, soutenu par le gouvernement et le rapporteur du texte, qui vise à inscrire la notion de « projet parental » au coeur de la démarche de procréation médicalement assistée (PMA). Traditionnellement, pour accélérer la procédure, les votes des amendements se font à main levée.

« Qui est pour ?« , demande Richard Ferrand. Sur la vidéo, on aperçoit de rares mains se lever. « Qui est contre ? » : de nombreux bras se dressent, y compris au sein de la majorité. L’amendement semble clairement rejeté par les députés. « L’amendement est adopté« , lance pourtant le président de l’Assemblée, à la surprise générale. Dans les bancs des députés Les Républicains (LR), estomaqués, des protestations s’élèvent. « C’est un scandale !« , entend-on. Richard Ferrand, l’air incrédule : « Pourquoi vous contestez ? Si je vous dis que l’amendement a été adopté, il a été adopté ! Ça suffit, ça suffit. Le vote a eu lieu. » Il appelle alors Xavier Breton, député LR, pour examiner un autre amendement. Mais le parlementaire élu dans l’Ain se saisit du micro et proteste : « C’est vraiment scandaleux. Sincèrement, il y avait à peine la majorité au sein du groupe majoritaire. Une autre moitié a voté contre. Et nous, très largement, on a voté contre. Donc sincèrement, il y a un vrai problème, c’est pour ça qu’il faut vraiment régler cette question du vote.« 

Richard Ferrand Refuse de vérifier le résultat

Xavier Breton propose alors de « faire un assis-debout » pour vérifier. Il est fréquent, au palais-Bourbon, de procéder à cette méthode pour compter plus précisément les voix si le vote à main levée n’aboutit pas à une majorité claire. Mais Richard Ferrand s’obstine dans son refus : « Le vote a été constaté et proclamé, il est donc acquis« , s’entête-t-il au perchoir. Thibault Bazin, autre député LR, demande alors une suspension de séance. Après deux minutes d’arrêt, et alors que le président de l’Assemblée réitère son intention de ne pas revenir sur le vote de l’amendement, Bazin prend la parole et s’adresse à Richard Ferrand : « M. le président, votre responsabilité est grande. (…) Je vous demande vraiment d’être extrêmement vigilant, de prendre le temps de compter. Après, on respectera, mais quand visiblement le vote n’est pas celui que vous annoncez, il serait de votre grandeur de reconnaître cette erreur et de remettre au vote. Vous ne le voulez pas, j’en prends acte, mais je vous demande à l’avenir, vu les sujets qu’on traite, d’avoir cette vigilance sur la qualité de nos votes.« 

Une vidéo trompeuse ?

Comment Richard Ferrand a-t-il pu faire adopter un amendement alors que les images disponibles montrent un vote inverse ? Une explication pourrait être que les angles de caméra fournis par l’Assemblée n’englobent pas la totalité de l’hémicycle, et auraient caché des votes favorables. C’est ce qu’a semblé indiquer le compte Twitter du palais-Bourbon : « Le Président de séance est le seul à avoir une vision d’ensemble de l’hémicycle et n’a pas à justifier le décompte des voix. Ce n’est que lorsqu’il a un doute sur le résultat d’un vote à main levée qu’il procède à un vote par assis-levé.« 

« Richard Ferrand est clairement passé en force »

Mais cette justification est démentie par les témoignages recueillis par Marianne. D’après Xavier Breton, député LR, le groupe macroniste était partagé en deux, et le groupe LR a voté quasiment intégralement contre l’amendement. « A vue d’œil, il y avait entre un tiers et 40% de votes pour et entre deux tiers et 60% de votes contre« , nous rapporte le député de Bourg-en-Bresse au téléphone. « Richard Ferrand est clairement passé en force. Dans ces cas-là, on fait un assis-debout et on vérifie« .

Hervé Saulignac, député socialiste qui disposait lui aussi d’une vue d’ensemble sur le vote, « estime que l’amendement était rejeté. Parfois, il y a des votes à main levée où je suis incapable de dire où la balance pesait. Là, c’était clair« . « Ferrand a apprécié au jugé, le délai entre le moment où on lève la main et où il annonce que l’amendement est adopté est bien trop court pour compter« , ajoute l’élu de l’Ardèche, qui a voté contre. Au passage, on note en regardant les images qu’une députée située en haut de l’écran a voté pour… et contre l’amendement. Il n’aurait donc sans doute pas été inutile de vérifier.

D’autant que, de l’avis des députés interrogés, l’amendement n°2123 était sensible et a longuement été discuté en commission avant le vote en séance. Un contexte qui n’a pas contribué à faire baisser la tension. Xavier Breton raconte avoir « ressenti un grand étonnement dans l’hémicycle, un sentiment de gêne. D’ailleurs, personne dans la majorité n’est venu en soutien du président de séance« . Hervé Saulignac fustige lui le « refus de mettre en cause sa propre appréciation » de la part de Richard Ferrand. « Comme c’était un amendement soutenu par le gouvernement et la commission, il a probablement anticipé le fait qu’il serait adopté« , hasarde le député socialiste.

Une explication également envisagée par Thibault Bazin (LR), qui ne cherche pas à accabler le président de l’Assemblée nationale : « Ça peut arriver qu’un président de séance lève rapidement la tête pour un amendement soutenu par le gouvernement. Mais ce qui me pose question, et sans vouloir jeter la pierre à Richard Ferrand, c’est qu’on avait affaire à un amendement très discuté y compris au sein de la majorité… C’est dommage, dans l’optique d’un débat apaisé, de commencer de cette manière « .

« A aucun moment le président de l’Assemblée nationale n’a eu de doute, et il n’en a toujours pas sur ce vote. »

Étourderie, erreur d’appréciation, volonté de passage en force ? Contacté, le cabinet de Richard Ferrand reste droit dans ses bottes : « A aucun moment le président de l’Assemblée nationale n’a eu de doute, et il n’en a toujours pas sur ce vote. C’est pour cette raison que le recomptage n’a pas eu lieu. » Il est également précisé que « le perchoir est l’endroit de l’hémicycle où la vision périphérique est la meilleure« , car « des angles morts empêchent une appréciation correcte des votes » depuis les bancs. Les fonctionnaires entourant Richard Ferrand, chargés de se manifester en cas de doute sur le vote d’un amendement, n’ont pas bronché.

Il reste une solution aux députés LR : l’équipe de Richard Ferrand indique que dans le cas où « ils estimaient encore que le comptage est mal effectué, ils pourraient demander de voter à nouveau cet article avant le commencement des explications de vote sur l’ensemble du projet de loi« . En attendant, le doute plane toujours sur le comptage exact du désormais fameux amendement n°2123.

 

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2 réflexions sur “Le naufrage de la démocratie en quelques secondes. LCP + MàJ de Marianne

  1. On aura beau dire, on aura beau faire «Dès que nous disons le mot «démocratie» pour nommer notre mode de gouvernement qu’il soit américain, allemand ou français, nous mentons. La démocratie ne peut jamais être qu’une idée régulatrice, une belle idée dont nous baptisons promptement des pratiques très diverses. Nous en sommes loin, mais encore faut-il le savoir et le dire»(A.E)

    «Nous sommes victimes d’un abus de mots. Notre système (les «démocraties» occidentales) ne peut s’appeler «démocratique» et le qualifier ainsi est grave, car ceci empêche la réalisation de la vraie démocratie tout en lui volant son nom.» (S-C.K)

    « La démocratie, c’est le nom volé d’une idée violée» (J-P.M).

    « L’erreur ne devient pas vérité parce qu’elle est approuvée par beaucoup » (M.G)

    «Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont forcément raison» (M.C)

    « Ceux qui regardent le vote universel comme une garantie de la bonté des choix se font une illusion complète.» (A.T)

    «Qui trouve globalement rationnelles et louables nos organisations et pratiques sociétales, en particulier sur le plan politique et économique et a fortiori environnemental, ne l’est guère» (I.I)

  2. Les hérauts de l’avilissement du genre humain ne reculent plus devant rien et ils ne s’en cachent même plus. Pathétique démonstration de la malhonnêteté des instances soi-disant démocratiques. Et ce sont les mêmes qui sont sensés s’occuper de notre bonheur !!!

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