Accord-cadre Suisse-UE: clap de fin pour la démocratie suisse.

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Suite à une indiscrétion qui a éventé un projet d’adhésion à l’EEE, mené en secret par le Conseil fédéral, le peuple suisse fut invité à se prononcer sur le sujet.

Ce décembre 1992, les Suisses ont refusé l’adhésion à l’EEE, l’Espace Economique Européen. A partir de cet instant, une organisation parallèle aux institutions fédérales a été montée. Elle sera construite sur une double base:

  1. Une atomisation d’une bonne partie de l’administration publique. En effet, une série d’organismes d’Etat ont été détachés au fil des années de la structure officielle. Certains seront inscrits au Registre du Commerce -RC_ à l’exemple de la Mission de la Suisse auprès de l’Union européenne, structure chapeautée par l’ambassadeur de la Suisse auprès de l’UE. D’autres, à l’image de la FINMA, ne sont pas inscrits au RC bien qu’identifiables à la société anonyme.

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    Inscription de la délégation suisse auprès de l’UE inscrite, quelques semaines après le rejet de l’adhésion à l’EEE, au RC belge. Bien que porteuse d’un numéro d’entreprise, le chef de l’établissement porte le titre d’ambassadeur

  2. Le principe de cette « corporatisation » de l’administration publique, avec délégation de la puissance publique tout de même, est acté. Elle promeut les relations contractuelles, soumises au droit commercial, en Suisse et à l’étranger. L’intérêt public devient inférieur à l’intérêt du business.

C’est cette Suisse atomisée et corporatisée (à l’image d’une firme-réseaux) qui va tisser contractuellement l’intégration et la globalisation du pays au niveau supranational. La Suisse officielle, affaiblie car amputée du pouvoir direct sur nombre de ses prérogatives, est devenue une caisse d’enregistrement administrative des normes et autres desiderata des lobbies.

https://lilianeheldkhawam.com/la-dissolution-des-etats/

Partant, la Suisse en tant qu’État souverain et démocratique a été enterrée depuis de nombreuses années. Sa stratégie est dictée par des entités supranationales telles que l’UE, mais surtout et avant tout par l’ONU et ses satellites. La chose est confirmée par une RTS qui prépare l’opinion publique au changement, voire au coup d’Etat qui se déroule dans la plus grande indifférence des élus.

https://www.rts.ch/info/suisse/10583640-les-lois-suisses-sont-de-plus-en-plus-dictees-depuis-l-etranger.html?fbclid=IwAR3RWhUf75khSfDyf1t3sWlYYC6kjPks3LRxaBICksBe3-IGhE_kNe5B5eg

Progressivement, une double structure s’est mise en place. L’une officielle qui permet aux votants suisses de se croire « souverains » (mot qui soit dit en passant a été évacué de la Constitution réformée en 1999), et l’autre diplomatique et corporatisée qui permet à Berne de zapper l’ordre constitutionnel, pour aller greffer ses interactions supranationales où bon lui semble. Le dernier exemple en date est celui de la sous-traitance de l’identité électronique à des entreprises.

https://lilianeheldkhawam.com/2019/04/27/le-conseil-federal-offre-un-privilege-regalien-de-plus-a-la-haute-finance-internationale-le-cas-de-swiss-id-lhk/

Or, certaines échéances approchent qui imposent l’officialisation de la structure pour l’instant officieuse. Et là, les dirigeants politiques qui ont escamoté les processus constitutionnels ont un problème. Récemment, c’est le PDC qui s’est jeté à l’eau pour officialiser l’existence du Grand Genève, eurorégion par excellence vouée dès sa création à enterrer la frontière au profit d’une intégration avec un bout du territoire français.

https://lilianeheldkhawam.com/2017/11/06/lintegration-transfrontaliere-europeenne-se-poursuit-avec-la-suisse-lhk/

Relayé par les médias acquis à la cause globaliste, le Temps nous explique que « Le PDC veut renforcer la dynamique du Grand Genève ». Pour ce faire, « le parti propose une résolution au Grand Conseil afin de revoir le mode de gouvernance du territoire franco-valdo-genevois: une prise de position claire en faveur d’une coopération avec la France« . Ça a le mérite de poser la réalité de ce projet acté il y a de nombreuses années. Pourtant inutile d’accabler ses promoteurs, il n’est qu’un exemple de l’émiettement généralisé (régionalisation) et de la corporatisation qui attendent le territoire national.

https://lilianeheldkhawam.com/2017/11/06/lintegration-transfrontaliere-europeenne-se-poursuit-avec-la-suisse-lhk/
https://lilianeheldkhawam.com/integration-suisse-ue/

Reste qu’il faut trouver le moyen de « vendre la réalité » de la nouvelle Suisse à un peuple qui continue de voter selon des critères révolus. L’intérêt de la chose est d’autant plus prégnante que le statut de celui-ci pourrait brusquement muter de celui de « citoyen » pour celui de « ressource humaine » dont le souverain ultime est le monde du business et bien sûr de la très haute finance internationale. Car, il est utile de rappeler que le droit international, qui est supérieur au droit suisse, est la somme de contrats passés (il y en a des centaines) à l’international ou avec les organismes supranationaux. Le citoyen suisse est donc garant et débiteur de tout ce que ses représentants ont signé comme accords financiers et commerciaux.

La privatisation de la législation en cours

Il existe actuellement un contrat-cadre que la Suisse doit signer (et qu’elle signera n’en doutez pas) d’un jour à l’autre avec l’UE. Les opposants au projet mettent en avant la nationalité des juges qui seraient des étrangers. La vérité est que le modèle voulu par Berne et par l’UE impose aux citoyens avant tout une privatisation de la législation! Le coup de grâce sera ainsi porté à l’Etat public démocratique en plaçant selon les dossiers 3 à 5 individus privés au-dessus des institutions démocratiques.

La preuve est là.

Dans un document explicatif publié par le Conseil fédéral, nous lisons que « Le protocole 3 de l’accord institutionnel règle dans les détails la composition du tribunal arbitral et le déroulement de la procédure arbitrale. Les règles correspondent principalement du droit international dans ce domaine. Concrètement, la Suisse et l’UE choisissent le même nombre d’arbitres. Si trois arbitres doivent être nommés, chacune des parties en désigne un. Si cinq arbitres doivent être nommés, chacune des parties en désigne deux. Les arbitres nommés par les parties choisissent ensemble le dernier arbitre qui exerce la fonction d’arbitre-président du tribunal arbitral. Ils se fondent à cet égard sur la liste des personnes qualifiées établie au préalable par la Suisse et l’UE au sein du comité mixte horizontal de l’accord institutionnel (protocole 3, art.II.2). Le tribunal arbitral s’efforce de prendre ses décisions par consensus. Si cela s’avère impossible, la décision du tribunal arbitral est rendue à la majorité (protocole 3, art.IV.1). Les audiences devant le tribunal arbitral sont publiques, à moins qu’il n’en soit décidé autrement pour des motifs graves (protocole3, art.III.12, par.2). Les décisions du tribunal arbitral sont rendues publiques dans tous les cas (protocole3, art.IV.2, par.4). (Page 8) »

Cette assertion est extraite d’un mécanisme qui vise le « Développement dynamique du droit ». Son innovation place l’arbitrage et ses quelques personnes privées et non élues, au centre du processus du pouvoir décisionnel institutionnel.  Le processus montre clairement qu’un Comité mixte UE-Suisse contrôle et pilote la mise en place du droit de l’UE.

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Vous constaterez au coeur du modèle la case « la Suisse doit reprendre l’acte » est une conséquence de la décision de quelques individus. On place la population et la démocratie dans son ensemble sous le pouvoir incommensurable d’individus privés bombardés du titre discutable de juges. Ce mécanisme arbitral qui privatise la législation a été ouvertement demandé par le conseiller fédéral Ignazio Cassis (Voir ICI). Normal puisque l’ICC International Court of Arbitration, qui est une référence en matière d’arbitrage mondial se trouve en … Suisse.

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Les effets indésirables de l’arbitrage

Ce genre de processus semble déconnecté des institutions démocratiques et enterrerait ainsi l’Etat de droit, la démocratie, et plus globalement la chose publique. Accessoirement le mécanisme est fort coûteux. Il peut s’élever à des dizaines de millions d’euros, voire plus. En s’engageant contractuellement avec l’UE dans un processus dans lequel le tribunal arbitral est une clé de voûte du pouvoir décisionnel, le Conseil fédéral soumet la démocratie à une certaine sphère privée favorable à la galaxie de la haute finance internationale. Le monde de l’argent facile primerait sur la chose publique. Mais ce n’est pas tout.

Dans un article qui traite des procédures d’arbitrage, nous relevons d’abord les problèmes archi-connus des coûts de la procédure. Par exemple, dans le cadre de l’OMC, les coûts des règlements de différends entre Etats sont si élevés que les petits pays renoncent à défendre leurs droits.

L’impartialité des « arbitres » est un thème chaud et récurrent. Nous lisons par exemple dans un article la phrase suivante qui ne manque pas d’interpeller: S’agissant de la constitution du tribunal arbitral, sur soixante demandes de récusation d’arbitres pour manque d’indépendance ou d’impartialité, seules cinq ont été retenues par la Cour de la CCI. (ICI) 

La version finale de l’ ACCORD FACILITANT LES RELATIONS BILATÉRALES ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LA CONFÉDÉRATION SUISSE DANS LES PARTIES DU MARCHÉ INTÉRIEUR AUXQUELLES LA SUISSE PARTICIPE (l’ Acccord Institutionnel SUISSE-UE ICI) est prête. La possible adhésion contractuelle de la Suisse au marché intérieur de l’UE aussi.

Dans un document explicatif de l’accord cadre, le Conseil fédéral écrit ceci « Le Conseil fédéral souhaite une intégration optimale au marché intérieur de l’Union européenne (UE) et une coopération avec l’UE dans certains domaines d’intérêt, tout en maintenant une indépendance politique la plus large possible. La voie bilatérale s’est révélée être, pour la Suisse, un instrument de politique européenne sur mesure, susceptible de servir au mieux ses intérêts. Par la conclusion d’un accord institutionnel, le Conseil fédéral entend consolider la voie bilatérale, respectivement l’accès au marché intérieur de l’UE, en assurer la pérennité et en permettre le développement ».

L’avenir idéal d’un pays comme la Suisse se résume selon ses principaux représentants en une affaire de marché, de développement, d’intérêts…Normal dans un pays qui place les lobbies dans les allées du pouvoir, et où nombre d’élus ne sont rien d’autres que des porte-drapeaux du monde du business. Une espèce d’institutionnalisation des entreprises…

Plus d’infos sur les tribunaux arbitraux:

https://lilianeheldkhawam.com/2017/11/19/tribunaux-arbitraux-comment-les-multinationales-rackettent-les-etats-serge-escale/
https://lilianeheldkhawam.com/2019/05/28/la-cour-de-justice-europeenne-permet-aux-multinationales-dattaquer-les-etats/
https://lilianeheldkhawam.com/2016/10/31/canada-suisse-un-traite-de-libre-echange-signe-en-2008-liliane-held-khawam/

[1]Accord institutionnel Suisse–UE: document explicatif, Janvier 2019 (pp. 2, 17, 18)

L’accord-cadre Suisse-UE pour les nuls: trois fois deux minutes pour tout comprendre. RTS

Après des années de négociations, l’accord-cadre avec l’Union européenne est enfin sur la place publique. D’ici l’été, la Suisse devra dire si elle l’accepte ou non. Mais que contient vraiment cet accord? Et quels sont les points qui posent problème? Notre éclairage en trois épisodes.

ÉPISODE 1: LA REPRISE DU DROIT

19h30 – Publié le 04 mars 2019

La Suisse et l’Union européenne sont liées par cinq accords bilatéraux dits d’accès au marché: la libre circulation des personnes, les transports terrestres, les transports aériens, les obstacles techniques au commerce et l’agriculture. Pour que ces accords restent d’actualité, ils doivent régulièrement être adaptés à l’évolution du droit européen et intégrés dans le droit suisse.

Actuellement, la Suisse le fait en général sur une base volontaire. Mais elle garde en principe la liberté de refuser certains éléments du droit européen. Cette situation ne plaît pas à l’UE qui menace de laisser s’éroder les accords actuels et de ne pas en signer de nouveaux.

L’accord institutionnel Suisse-UE est la solution trouvée par les deux parties pour que ces accords soient régulièrement mis à jour et appliqués de façon harmonieuse. Il prévoit que la Suisse reprenne le droit européen de manière presque systématique. Il s’agit d’une perte de souveraineté, dénonce l’UDC, qui s’oppose vivement au texte.

ÉPISODE 2: LE RÈGLEMENT DES CONFLITS

19h30 – Publié le 05 mars 2019

Que faire si la Suisse et l’Europe sont en conflit sur l’interprétation d’un de ces accords? Aujourd’hui, dans ce genre de cas, il ne se passe rien. Chacun campe sur ses positions. Avec l’accord-cadre, le conflit serait tranché par un tribunal arbitral constitué d’un juge suisse, d’un juge européen et d’un troisième juge nommé par les deux premiers.

A priori, on évite ces fameux « juges étrangers » que les Suisses détestent. Le hic, c’est que si le Tribunal arbitral estime que le différend touche du droit européen, il devra trancher en se basant sur la jurisprudence de la Cour européenne de justice, voire lui demander son avis qui sera alors contraignant. Et ça, ça ressemble déjà un peu plus aux juges étrangers.

La  partie à qui le tribunal arbitral donnera tort pourra refuser de se soumettre. L’autre partie sera alors autorisée à prendre des mesures de représailles qui pourront être contestées devant le tribunal et éventuellement réduites, si elles sont jugées non proportionnelles.

ÉPISODE 3: LÀ OÙ CA COINCE

19h30 – Publié le 06 mars 2019

L’accord-cadre pourrait sauver la voie bilatérale, mais il suscite aussi de très nombreuses réticences en Suisse, et pas seulement à l’UDC. D’ici la fin du printemps, les partis et les partenaires sociaux devront prendre position sur ce texte. L’UDC dit franchement non, le PLR, le PBD et les Vert’libéraux oui. Quant aux autres partis, c’est plus compliqué: c’est oui sur le principe, mais avec de grosses réserves.

Le premier problème c’est que la Suisse devrait assouplir certaines des mesures d’accompagnement. Un exemple: aujourd’hui, si une entreprise européenne veut envoyer un travailleur détaché en Suisse, elle doit l’annoncer huit jours à l’avance. La raison: laisser du temps aux inspecteurs du travail pour vérifier qu’il n’y a pas de dumping salarial. Avec l’accord-cadre, ce délai passerait à quatre jours ouvrables seulement. Beaucoup trop court, disent les syndicats et le PS, qui craignent un affaiblissement de la protection des travailleurs.

Le deuxième grand problème, c’est qu’avec l’accord-cadre, la Suisse pourrait devoir reprendre ce qu’on appelle la directive sur la citoyenneté de l’Union européenne. Si c’était le cas, les Européens qui s’établissent en Suisse auraient notamment un accès plus facile qu’aujourd’hui à notre système social.

La Suisse devra-t-elle reprendre l’ensemble des points de la directive? On ne le sait pas. L’accord reste flou à cet égard. La décision finale dépendra sans doute du tribunal arbitral. Malgré ces inconnues, la Suisse devra dire oui ou non à ce texte d’ici la fin du printemps. Avec des risques et des avantages, quelle que soit sa décision.

Pierre Nebel

6 réflexions sur “Accord-cadre Suisse-UE: clap de fin pour la démocratie suisse.

  1. Eh oui, la Suisse n’est pas à l’écart de la marche du monde vers un système globalisé sous le contrôle de la finance… Elle est impliquée, vaille que vaille, dans l’ évolution du continent européen dont elle fait partie. On peut le regretter, mais je crains qu’il n’ y ait guère d’alternative.

  2. paraphrase :
    La guerre est une chose trop sérieuse pour la confier aux généraux (Clémenceau 1887)
    La monnaie est une chose trop sérieuse pour la confier aux financiers ysmv

  3. Qu’en est-il de l’expulsion des criminels étrangers si la Suisse reprend la directive sur la citoyenneté de l’Union européenne? Seront-ils encore expulsables?

  4. Pingback: Vaud : Notre compagnie de navigation sur le lac Léman toujours davantage au service des frontaliers français - Les Observateurs

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