Economie espagnole: suite et fin. Par Nicolas Klein

 

(Source image: agefi.fr)

 

Au terme de ce long dossier, il apparaît que la crise économique de 2008 a durement touché l’Espagne et a eu de nombreuses répercussions dans le pays, forçant sa population à se passer dans une grande mesure de l’État afin de trouver les ressorts de croissance (et, plus prosaïquement, un emploi) qui permettent aujourd’hui au pays de rebondir. Certes, la baisse du « coût du travail », le bas prix du pétrole et l’euro bon marché ont aidé notre voisin ibérique à se relever après les coups durs subis durant près de dix ans. Néanmoins, il ne faudrait pas surestimer l’impact réel des réformes de José Luis Rodríguez Zapatero et Mariano Rajoy ni penser que seuls les facteurs extérieurs ont pu aider à ce redressement.

            Les atouts industriels et le dynamisme exportateur de l’Espagne doivent eux aussi être analysés si l’on veut comprendre la forte croissance et la réduction du chômage des dernières années. L’émergence de ce pays comme acteur de poids au niveau mondial[1] a été contrariée par la crise mais rien ne dit qu’elle sera définitivement entravée. La formidable projection des multinationales espagnoles au niveau planétaire n’a pas toujours eu les conséquences souhaitées sur la richesse du pays mais elle lui a donné des cartes à jouer dans le contexte actuel[2]. Ce savoir-faire a également eu des conséquences positives dans le pays, par exemple pour la qualité de ses infrastructures[3].

            Alors, la question se pose : la crise est-elle terminée en Espagne ? Pas tout à fait. Les soucis restent nombreux (abandon de la scolarité, taux de pauvreté, inégalités régionales ou de revenus, etc.)[4]. Les défis de l’exportation espagnole et, plus globalement, de son modèle productif sont légion et il faudra que les gouvernements en place ou à venir s’y attèlent sérieusement[5].

            C’est à la faveur des déchirures du tissu social espagnol et de la longue crise que le pessimisme est durablement revenu outre-Pyrénées et que les citoyens ont commencé à avoir la sensation que jamais ils ne pourraient rejoindre le niveau de productivité et de richesse des autres Européens de l’Ouest. Réapparaissent ainsi les vieux discours sur la « stagnation séculaire » (estancamiento secular) de l’Espagne, pays qui aurait toujours été incapable de se moderniser et d’adopter les modalités politiques, économiques et culturelles en vigueur chez ses principaux voisins. Alors que certains commentateurs français s’interrogeaient jadis sur l’existence d’un « modèle espagnol »[6], beaucoup de journalistes espagnols se demandent à l’heure actuelle si leur nation pourra un jour dépasser le stade de l’économie low cost[7] – ce qui est un jugement sévère.

            Il faut dire que l’obsession de l’Espagne ces trois derniers siècles réside dans une idée simple : rattraper les autres pays d’Europe occidentale. Ce mantra de la convergence (convergencia) a traversé toutes les époques et tous les milieux politiques. Il explique en partie que les gouvernements espagnols successifs aient tant investi dans les infrastructures du pays depuis 1975[8].

Comme le disaient il y a quelques années deux professeurs d’économie : « L’Espagne a-t-elle crû au cours des deux derniers siècles ? Oui, et même beaucoup. A-t-elle convergé vers les pays d’Europe occidentale ? Non, absolument pas. […] À notre avis, le problème central de l’économie espagnole tout au long du xixe et du xxe siècle est celui de la convergence ou de la divergence vis-à-vis du standard communautaire. […] Le problème de base est, évidemment, celui de la non convergence. Malgré toute la croissance que nous avons connue, et qui nous permet d’être bien plus prospères qu’en 1800 – environ quatorze ou quinze fois plus –, nous sommes plus éloignés de nos voisins. La lancinante sensation d’« échec » ou de « retard » a dominé des générations d’Espagnols. Des romantiques aux régénérationnistes, de la droite à la gauche, des habitants de la capitale aux habitants des régions périphériques, la question est toujours la même : pourquoi l’Espagne n’est-elle pas parvenue à rattraper le niveau de l’Europe occidentale ? »[9].

[1] Voir, par exemple, Viaña, Daniel, « España: potencia económica mundial », El Mundo, 25 février 2018.

[2] Voir notamment Muñoz, Ramón, « Las grandes constructoras salen de la crisis gracias a su internacionalización », El País, 13 mars 2018 ; Rivas Moreno, Sara, « España, el imperio de las obras enormes », Cinco Días, 28 septembre 2017 ; Barciela, Fernando, « La década prodigiosa de las constructoras españolas », El País, 4 mai 2018 ainsi que Guillén, Mauro F. et García-Canal, Esteban, The new multinationals – Spanish firms in a global context, Cambridge : presses universitaires, 2010.  

[3] Voir Díaz, Bernardo, « El gran maná de las infraestructuras », Cinco Días, 1er avril 2018.

[4] Voir Sánchez Vicente, Teresa, op. cit.

[5] Voir Chislett, William, A new course for Spain – Beyond the crisis, op. cit., « The shape of things to come », pages 171-177 ; Buendía, Luis et Molero-Simarro, Ricardo (coord.), op. cit., « Conclusions – Spain’s lost decade », pages 150-155 et « Estructura de la economía española por sectores económicos y empleo (2016) », blog Economy, 2 mars 2017.

[6] Voir Touraine, Alain, « Y a-t-il un modèle espagnol ? » in Pouvoirs, Paris : Le Seuil, 2008, n° 124, pages 145-156.

[7] Voir Díez, José Carlos, « ¿Estamos condenados a ser un país low cost? », Cinco Días, 1er mai 2018.

[8] Voir Díez, Anabel et Mateo, Juan José, « El Gobierno se vuelca en las infraestructuras para compensar la parálisis legislativa », El País, 9 mars 2018.

[9] Voir Carreras, Albert et Tafunell, Xavier, Historia económica de la España contemporánea (1789-2009), Barcelone : Crítica, 2012, « Prólogo a la primera edición », page ix – C’est nous qui traduisons.

Nicolas Klein

Ce billet vient conclure une série d’autres qui traite de l’économie espagnole. Vous pouvez les trouver ICI

 

12 réflexions sur “Economie espagnole: suite et fin. Par Nicolas Klein

  1. « …pourquoi l’Espagne n’est-elle pas parvenue à rattraper le niveau de l’Europe occidentale ? »

    D’une part, l’Espagne est rongée par un communautarisme débridé qui absorbe une partie non négligeable de la richesse. D’autre part, le sommet de l’état est régulièrement éclaboussé de scandales politico-financiers, notamment le PP, parti de Rajoy, certains membres de la famille royale espagnole et les ineffables banques. Ca n’aide pas.

    A l’instar des contribuables d’autres pays européens, les Espagnols ont dû assumer et renflouer leurs banques (crash 2008 et Bankia en 2012). La Cour des comptes espagnole estime à 61 milliards d’euros les charges imputées aux contribuables, dont 22 milliards pour la seule Bankia. A ce titre, l’Espagne avant bénéficié de prêts européens à hauteur de 41 milliards d’euros.
    https://www.latribune.fr/economie/international/espagne-le-sauvetage-des-banques-a-coute-61-milliards-d-euros-aux-contribuables-629658.html

    Dans ces conditions, il faut bien admettre que la relance économique reste illusoire.

    Parallèlement au chômage de masse qui a durement frappé l’Espagne, la politique commerciale démesurément répressive du secteur bancaire espagnol à l’encontre d’emprunteurs défaillants impliquait non seulement la perte du bien au titre de la garantie hypothécaire mais aussi une saisie supplémentaire sur salaire(s) jusqu’à l’extinction des sommes restant dues. Dans de telles conditions, les emprunteurs n’avaient aucune chance de rebondir.

    « Le 14 mars 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que le droit espagnol relatif aux prêts hypothécaires était incompatible avec la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs …/… Malheureusement, les suggestions formulées par la Cour n’ont pas été entièrement prises en considération, le gouvernement n’ayant pas autorisé les détenteurs de prêts hypothécaires à dénoncer comme illégales les saisies hypothécaires dont ils avaient été l’objet.
    http://www.karimadelli.eu/index.php?rub=au-parlement&pg=commission-emploi-affaires-sociales&spg=&act=espagne-reponse-de-la-commission-europeenne-sur-la-loi-hypotecaire

    A l’ouest rien de nouveau …

  2. Yvonne BERCHER.
    Dr en droit.
    Publié
    in
    La Presse
    , (quotidien tunisien), du 23 février 2011

  3. Bonjour à tous,
    Résidant depuis plus de vingt ans en Espagne, ayant dirigé mon entreprise,
    jusqu’à ma retraite ( entreprise en continuation d’activité ) voici quelques
    anecdotes savoureuses.
    Pour un produit j’avais besoin d’un fil pour effectuer un tissage.
    Après un travail très long de recherche, j’avais une adresse pas loin de
    Barcelone. J’arrivais dans cette rue avec mon adresse, et rien sur la façade du
    bâtiment, ni boite à lettre. Par chance à coté il y avait une entreprise de récupération de ferraille. J’entrais et je posais la question s’il connaissait une filature. La personne me répondit qu’il n’y avait pas d’entreprise de ce type dans cette rue. J’insistais et il m’affirma que cela faisait 25 ans qu’il travaillait à cette adresse.
    Je revins vers mon adresse ( donc juste à coté ) et frapper à la porte. Une petite guillotine de prison s’ouvrit, et enfin je pus entrer dans cette entreprise.
    Je découvris la notion du secret cher aux espagnols.
    Je mis fièrement une grande boite pour le courrier devant mon adresse.
    Je découvris que dans le village et les entreprises il n’y avait pas de boite aux lettres et que le courrier était jeté dans le couloir ou vaguement sous la porte.
    J’ai eu dans ma boite pendant des années un tas de courrier de toutes sortes.
    Ensuite je compris que toute l’Espagne à tous les niveaux, du simple ouvrier jusqu’au sommet de cet état était organisé pour la dissimulation fiscale.
    Chacun sachant la règle du jeu.
    J’ai commencé alors à regarder de plus prés les valeurs déclarés par les douanes espagnoles de certaines productions.
    Alors là mes amis les bras m’en sont tombés.
    En allant un peu plus loin j’ai découvert tout un système.
    Je ne m’étendrais pas plus.
    ET rien ne changera.
    Hormis les naïfs en France et ailleurs qui commentent l’économie Espagnole.

    Amitiés à toutes et tous.

  4. @ Jean Segur

    « Résidant depuis plus de vingt ans en Espagne … »

    Alors nous sommes 2 sur ce fil….

  5. Jean

    Bah … Valls va réformer tout ça !

    Sa propre métamorphose a été accomplie avec succès.
    La preuve … de Premier ministre d’un gouvernement de gauche en France (enfin dans les paroles hein) le voilà investi par la droite espagnole pour devenir maire de Barcelone.
    Et on retient son souffle ….😗😗

  6. Bonjour Nadine,

    Valls ;
    La vanité ignore la médiocrité.
    Mais heureusement, le ridicule ne tue pas.
    Il peut même, être lucratif.
    Christian Castelli ( hélas pas de moi )

    Espagne :
    Peu de personnes politiques ont conscience du phénoménal envie du peuple chinois de bénéficier d’un meilleur cadre de vie. Peuple jeune.
    Cela génère un dynamisme qui touche tous les secteurs des activités sociales et économiques.
    L’Espagne sera la proie la plus facile pour ces derniers, avec la Grèce.
    Les barrières vont rapidement sauter, partage des utilisateurs sur les réseaux sociaux,
    Alibaba, Aliexpress et d’autres comme passerelle  » naturelle  » vers une consommation de tous les produits du cercle asiatique.
    Une flotte d’avion à l’enseigne d’Alibaba va voir le jour, pour déverser à des coûts ordinaires tous ces produits. Deux ans maxi.
    Alibaba c’est 100 millions par jour de connexion. Et ce n’est que le début avec cette association intervenu il y a quelques jours d’y joindre la Russie dans les six mois. Et ensuite l’Inde.
    Rien ne résistera à ce rouleau compresseur. Hormis luxe et tourisme.
    Je le vois dés à présent autour de moi.
    Bien sur natalité en déclin, à la messe du dimanche un curé avec 18 paroisses, et une moyenne d’âge de 60/70 ans à l’office.
    Dans peu de temps ce sera plié.
    Déjà dans mon village des prières sur les carrefours ( giratoire ) bien visible de tous.
    etc etc

    Un nouveau départ s’impose, à 75 ans.
    Où ?
    Un pays où à l’office la moyenne d’âge sera 35/40 ans.
    Je serais tranquille un peu de temps !

    Amitiés.

    Jean SEGUR

  7. Jean

    Je ne suis pas vraiment optimiste, même pour la moyenne d’âge 30/45 ans.

    Selon l’économiste suisse Egon von Greyerz, « il est trop tard ; les gouvernements sont en faillite et il n’est plus possible de réduire les dettes. Tout gouvernement qui essaie de lancer des plans d’austérité se fait immédiatement renvoyer. Les déficits et l’impression monétaire vont s’accélérer, et on sera en route vers une dépression hyperinflationniste. »

    http://www.bvoltaire.fr/economie-des-clignotants-partout-au-rouge-dans-le-monde-avant-la-catastrophe/?mc_cid=00dd13304f&mc_eid=9c97e6aae1

  8. Bonjour,

    Une petite erreur, je disais que alibaba serait préparé dans les transports vers le monde,
    dans les deux ans !
    Ce jour j’ai constaté sur Alibaba que le service maritime de transport, filiale de Alibaba était entré en fonction, avec une remise de 50 % sur le coût des transports vers les États Unis ( par rapport aux prix conventionnel ) Le transport aérien va suivre très vite.
    Et l’Europe sous peu.

    Salutations.

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