Espagne: La démographie est peut-être le plus épineux des soucis… Nicolas Klein

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            Force est de reconnaître que, parmi les autres potentiels chocs économiques externes qui menacent l’actuel modèle de croissance espagnole, la diminution du nombre de touristes ou de leurs dépenses outre-Pyrénées est un défi que pourrait bien avoir à relever le pays. Comme signalée dans les précédents billets, cette source de revenus représente aujourd’hui 11 % du produit intérieur brut et notre voisin ibérique est devenu l’année dernière le deuxième pays le plus visité au monde, devant les Etats-Unis d’Amérique et derrière la France (soit 82 millions de touristes étrangers)[1]. L’argent dépensé en moyenne par ces visiteurs avait dès le 30 novembre 2017 crû de 10,3 % par rapport à la même période de l’année 2016, avec plus de 82 milliards d’euros[2]. Des facteurs endogènes expliquent ce succès, comme l’ensoleillement du pays, sa double façade maritime (sur la mer Méditerranée et l’océan Atlantique), son patrimoine historique, architectural et artistique à nul autre pareil[3], sa gastronomie, la qualité de son accueil et de ses infrastructures[4] mais aussi sa compétitivité sans égal dans le domaine[5]. Certains éléments internes sont aussi des dangers potentiels, comme les nuisances créées par le trop-plein de touristes dans certaines zones (à l’instar Barcelone, de la côte catalane et des îles Baléares)[6] et les réactions quelquefois violentes qui s’ensuivent de la part de certains groupes radicaux[7].

L’Espagne, désert de l’Europe ?

Bien d’autres facteurs endogènes et exogènes représentent une source de préoccupation pour les dirigeants espagnols en matière d’économie et nous n’allons pas tous les détailler dans ce dossier. Contentons-nous de les évoquer rapidement : l’existence d’un large parc immobilier encore inoccupé et qu’il faudra s’attacher à remplir ou à reconvertir[8], l’incertitude politique et institutionnelle (notamment en Catalogne)[9], le manque criant d’investissement public dans la recherche et le développement[10], les fragilités du secteur bancaire (notamment marqué par sa dualité entre banques et caisses d’épargne)[11], le Brexit[12], les élections générales italiennes de mars 2018 (caractérisée par la poussée des formations eurosceptiques)[13], la guerre commerciale entre les États-Unis d’Amérique et la Chine[14], les tensions américano-iraniennes[15], la chute du tourisme en faveur de la Turquie, de l’Égypte ou de la Tunisie[16], etc. Bref, les causes d’inquiétude ne manquent pas.

La question démographique…

À moyen et long terme, c’est peut-être la démographie qui va poser le plus de problèmes à l’Espagne car cette dernière se retrouve à la confluence de plusieurs phénomènes : le dépeuplement de vastes zones rurales, un faible taux de natalité et un vieillissement accéléré de la population. L’Ouest de la Catalogne, le Sud de l’Aragon, les deux Castilles, la Galice orientale, une bonne partie des Asturies, l’Estrémadure, le Nord de l’Andalousie et certaines zones de la Communauté de Valence perdent ainsi des habitants depuis plusieurs décennies, notamment sous l’effet de l’exode rural[17], ce qui a de nombreuses conséquences négatives à la fois sur la disparition des services publics, la perte d’un mode de vie ancestral ou encore l’environnement[18].

Par ailleurs, avec une espérance de vie à la naissance de 91,64 ans pour les femmes et de 88,6 ans pour les hommes[19] (soit un record pour les pays de l’OCDE après le Japon[20]), les citoyens espagnols vivent très âgés et il faut bien financer leurs pensions de retraite, qui fonctionnent selon un système de répartition. Or, le taux de natalité espagnol est au plus bas depuis la Guerre civile (1936-1939), avec 8,79 naissances pour mille habitants en 2016 et le nombre de nouveau-nés dans le pays pourrait descendre sous les 400 000 d’ici à quelques années[21]. Un million d’Espagnols pourraient disparaître d’ici à quinze ans, ce qui est évidemment très problématique à plusieurs titres : diminution du potentiel de croissance, entraves à l’innovation, rétrécissement de la population active, etc. Cela dit aussi très long sur la confiance que les Espagnols ont dans leur avenir collectif et individuel.

Le gouvernement de Mariano Rajoy a tenté vaille que vaille d’assurer la pérennité du système des retraites dans son pays, notamment en piochant allègrement dans le Fonds de Réserve de la Sécurité sociale, surnommé « tirelire des pensions » (hucha de las pensiones). Créé en 2000 par José María Aznar, ce fonds souverain doit fournir à l’exécutif des moyens supplémentaires pour financer les pensions de retraite en cas de coup dur pour le pays. C’est précisément ce qui est arrivé à l’Espagne à partir de la crise de 2008 et le président du cabinet y a largement eu recours, à tel point qu’à la fin de l’année 2017, 90 % de ce fonds avait été dépensé[22]. Et cela n’est pas près de s’arrêter puisqu’en 2017, il y avait 8,6 millions de personnes âgées de 65 ans ou plus dans le pays. L’Institut national des Statistiques (INE) estime qu’en 2052, pour chaque personne inactive outre-Pyrénées, il n’y aura qu’un actif disposant d’un emploi[23]. L’Espagne est aussi un des pays les plus généreux d’Union européenne en matière de pensions de retraite puisque ces dernières y sont les quatrièmes du continent proportionnellement au salaire moyen des habitants[24] – et ce en dépit des réformes très impopulaires faites durant la crise[25] ainsi que de la très faible pression fiscale par rapport aux voisins de l’Espagne[26].

[1] Voir « España desbanca a Estados Unidos como segundo mayor destino de turistas en el mundo », 20 minutos, 11 janvier 2018.

[2] Voir « El gasto de los turistas extranjeros crece un 10,3% en España y baja en Cataluña », ABC, 3 février 2018. Comme l’indique le titre de cet article, la Catalogne est la seule communauté autonome espagnole à avoir vu ces dépenses baisser dans la période considérée, ce qui est lié à l’instabilité politique dans la région.

[3] N’oublions pas que le pays dispose par exemple de 46 sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, ce qui en fait le troisième pays au monde dans le domaine derrière l’Italie et la Chine (voir le site officiel de l’UNESCO : http://whc.unesco.org/en/statesparties/es).

[4] Voir, par exemple, « España, el país con mejor infraestructura ferroviaria de la UE », El Imparcial, 15 mars 2016 et « España es uno de los países con mejores carreteras », ABC, 30 septembre 2015.

[5] Voir « España lidera de nuevo el Índice de Competitividad mundial », site Hosteltur, 6 avril 2017.

[6] Voir « «Turistas, go home» : de Sevilla a Venecia, Europa se une contra la «turistización» », El Mundo, 1er mai 2018.

[7] Voir Gómez, Rosario G., « Entre la picaresca, el éxito y la turismofobia », El País, 20 janvier 2018.

[8] Voir Sáiz, Eva, « Las cicatrices sin cerrar de la última burbuja inmobiliaria », El País, 5 mai 2018.

[9] Voir Méndez, Lucía, « Y España va… a pesar del caos político », El Mundo, 25 février 2018.

[10] Voir Maqueda, Antonio, « El Gobierno sólo gastó tres de cada diez euros presupuestados para I+D en 2017 », El País, 2 avril 2018.

[11] Voir Castillo, Jesús, « Le système bancaire espagnol : du mirage au désastre » in Revue d’économie financière, Paris : Association d’Économie financière, 2013, n° 111, pages 139-158.

[12] Voir Abellán, Lucía, « Las comunidades españolas temen el impacto de un Brexit duro », El País, 11 janvier 2018.

[13] Voir, entre autres, Grésillon, Gabriel, « L’élection italienne, un coup de massue pour l’Europe », Les Échos, 9 mars 2018. Voir également « La deuda española sufre las tensiones generadas por la política italiana », El Economista, 19 mai 2018.

[14] Voir, par exemple, Compagnon, Sébastian, « États-Unis et Chine : les chiffres-clé d’une guerre commerciale XXL », Le Parisien, 5 avril 2018.

[15] Voir, entre autres, « Nucléaire iranien : que va-t-il se passer après le retrait des États-Unis de l’accord ? », Europe 1, 9 mai 2018.

[16] Voir Viaña, Daniel, op. cit. Voir également « Aviso a la Costa blanca: los touroperadores ya admiten que desvían turistas a Turquía y Egipto », El Mundo, 19 mai 2018.

[17] Voir Jiménez, Francisco S., « El pentágono negro de la demografía española donde ha desaparecido el 10% de la población en 10 años », El Economista, 27 avril 2018.

[18] Voir Miranda, Isabel, « Las siete plagas de la despoblación », ABC, 14 mai 2018.

[19] Voir Vega, José Antonio, « La bomba demográfica que estallará en nuestra narices », Cinco Días, 21 décembre 2017.

[20] Voir Poncini, Helena, « España, el segundo país con mayor esperanza de vida de la OCDE », El País, 10 novembre 2017.

[21] Voir Vega, José Antonio, « La bomba demográfica que estallará en nuestra narices », op. cit.

[22] Voir Estévez Torreblanca, Marina, « Rajoy ha vaciado el 90% de la hucha de las pensiones », El Diario, 1er décembre 2017.

[23] Voir Ruiz, Clara, « El número de mayores de 65 años registra un máximo histórico en España », El Mundo, 6 juillet 2017.

[24] Voir « Las pensiones en España son las cuartas más altas de Europa respecto a los salarios », El Economista, 30 avril 2018.

[25] Voir, par exemple, pour la période Rodríguez Zapatero, « Las claves de la reforma de las pensiones », El País, 27 janvier 2011 et, pour la période Rajoy, Pascual, Raquel, « Así quedan definitivamente las pensiones tras la reforma », Cinco Días, 13 décembre 2013.

[26] C’est le troisième pays de l’Union européenne à soumettre le travailleur moyen aux plus faibles impôts (voir Viñas, Jaume, « España, el tercer país de la UE con una menor presión fiscal sobre el trabajador medio », Cinco Días, 30 avril 2018).

5 réflexions sur “Espagne: La démographie est peut-être le plus épineux des soucis… Nicolas Klein

  1. Heureusement que José María Aznar a régularisé en 2003, 7 à 800 000 sans papiers,, qui eux ont une natalité débordante !

  2. L’Espagne que je connais si bien. Et pour cause … Deux réflexions me viennent spontanément à l’esprit :

    1 – Côté « retraite par répartition », que ce soit en France ou en Espagne puisque Espagne il y a.
    Pour n’avoir pas su évoluer avec son temps (depuis des dizaines d’années), par ignorance et escobarderie des gouvernants, le système est moribond. Les économistes ont beau avoir tempété, rien n’y a fait. Le temps perdu reste perdu avec les conséquences perverses voire tragiques qui en découleront.
    En France, mensonges convenus, contorsions sémantiques et comptables, entretiennent la duperie.
    Combien de temps encore ?

    En Espagne, la situation est au rouge. Mon comptable me disait récemment : -« les retraites du régime général (par repartition) ne seront plus versées l’année prochaine. Faillite. Ça ne va pas être beau à voir « .

    2 – il n’est pas inutile de savoir qu’en Espagne les salaires sont bas, voire très bas, et les retraites encore plus, système oblige.

    Le gouvernement Rajoy est tombé gangrené par une corruption galopante et généralisée.
    Je ne vois pas comment Sanchez peut aboutir favorablement….

    Côté « réformes » (?!), les banques vont bien, très bien. Merci pour elles.

  3. C’est la démographie galopante du monde associée à l’irresponsabilité capitaliste (en fait sa dictature non tempérée par les populations passives) qui permet sa dévastation planétaire.

    Fonder une économie durable sur une croissance perpétuelle est aussi c.. que de croire à l’infinité des ressources minières…
    Nous confondons croissance en niveau de vie avec croissance démographique.
    Le capitalisme, par sa propagande très bien faite, nous raconte des fables.
    Faire croire que la retraite ne peut être payée que grâce à l’augmentation de la population est un gros mensonge. La richesse produite par le travail augmente avec l’ingénierie, le rendement du travail est croissant par le bon usage des connaissances et organisationnel,
    cet accroissement permet largement de payer des retraites.

    Mais il faut des conditions. Entre autre éviter de fabriquer de la dette, éviter de détruire en permanence le juste construit – bombardements permanents (USA une bombe chaque 12 minutes en 2017 (au passage 98% de morts «  » »collatéraux » » »), en forte progression d’une année sur l’autre), obsolescence programmée, dévastation des sols obligeant à augmenter les coûts de culture, transports inutiles de marchandises que l’on peut construire sur place, déplacements des personnes pour affaires et tourisme à très fort coût écologique irréversible, etc …
    Bref, notre société est non durable, dévastatrice et fabrique une double dette, monétaire (richesse à produire prise sur le futur) et de ressources ( ressources mise en décharge avec une vitesse de qqs mois -> destruction irréversibles des ressources qui, utilisées autrement, auraient pu être recyclées).

    L’argument de la démographie comme support de la société ne tient que dans un contexte capitaliste (en contradiction de tous les principes démocratiques) qui ne peut que s »effondrer (en fascisme violent de guerres pour la rareté construite).

    La situation actuelle est irréversible : pas de solution.
    Cela est toujours suivie d’une guerre qui renverse toute contestation, les morts (comme les futurs morts) ne réclament plus rien.

  4. @ Jean

    Certes … comment ne pas s’interroger sur l’incroyable passivité des populations ?
    Pour le reste, quand on réalise l’extravagance démesurée qui a agité une foule de supporters déchaînés, incités à se dégrader juste pour un ballon rond, il est permis de désespérer et de très sérieusement s’inquiéter sur un futur proche.

  5. Intéressant ces éléments sur l’Espagne. À mon sens la Péninsule Ibérique, qui sous-entend le Portugal, et tout comme l’Espagne, sa trace dans le monde (Brésil, Angola et quelques autres régions du monde) la Péninsule Ibérique dis-je, est l’une des plus importantes régions du monde, et ce, à plus d’un titre.
    Mais le travail de sape que, d’une manière ou d’une autre, exerce l’ « Europe » est très préoccupant. Si les régions, les provinces, cherchent légitimement à assurer leur identité, par exemple la Catalogne (il y en a d’autres), François Asselineau est tout à fait lucide en pointant du doigt les instigateurs ou commanditaires en sous main des « indépendantistes » (en particulier aux États-Unis). En résumé quand il y a des manifestation pour l’indépendance de la Catalogne, souvent, les manifestants brandissent des pancartes en anglais… la langue de leurs patrons! Ça en dit long !

    autre remarque, bien vu @ Jean, 17 juillet 2018 à 11h24

    Cependant, le « règlement » par la « guerre » s’il fut « traditionnel » est désormais hautement « problématique » sinon improbable, à cause de l’arme nucléaire. Quiconque l’utiliserait serait lui-aussi ipso facto vitrifié.Donc : guerre impossible. Le bilan des guerres a baissé et le nombre de militaires tués a beaucoup baissé dans le monde.
    Il semblerait que, « façon américaine » depuis le début de ce siècle, ce sera toujours et encore des « guerres » jamais déclarées (en principe, ça ne se fait plus, ce n’est pas convenable…) qui ne disent pas leur vrai nom (Mali, Yemen, région des Grands Lac en Afrique Centrale, et un certain nombre d’autres régions dans le monde) et qui s’exercent de plus en plus dans des domaines où excellent les « services spéciaux » et leurs agissement dénoncés par Julian Assange et Edwar Snowden, tel que cyber-espace, la désinformation, les coups tordus et pièges pour contrôler le maximum de matières premières « se raréfiant » sans qu’on sache si c’est vrai ou de l’intox, mise à genou dans le silence de populations entières, l’Afrique étant la première victime, par les dettes et l’usure étendues partout. Des « guerre » faites par le pur rapport de force sous discours « démocratique » anesthésiants; et encore, je suis en retard en disant ainsi.

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