Favoritisme délibéré ou perte de contrôle ? La politique d’investissement chaotique de la Banque nationale suisse. Vincent Held

SNB US Share Portfolio Value 

« Je peux vous assurer que nos spécialistes en investissement connaissent parfaitement leur métier » (Fritz Zurbrügg)

 « La BNS n’a aucun spécialiste qui peut dire ‘il faut prendre le titre A plutôt que le titre B’ » (Jean-Pierre Danthine)

 « Nous décidons de nos placements avec le concours d’un prestataire externe » (Thomas Jordan)

Le portefeuille actions de la Banque nationale suisse (BNS) – investi pour plus de moitié aux États-Unis (1) – dépasse aujourd’hui les 150 milliards de francs. Or ces fonds gigantesques favorisent bel et bien certaines entreprises par rapport à d’autres, contrairement à ce que la BNS ne cesse d’affirmer depuis des années… Le mystérieux « prestataire externe » de la Banque nationale prendrait-il des libertés avec l’argent public des Suisses ? Noyautée par des politiciens aux compétences douteuses, la BNS serait-elle incapable de maîtriser sa propre politique d’investissement ?

« La BNS est un investisseur passif », elle « ne fait pas de sélection de titres », elle ne choisit pas un secteur par rapport à d’autres secteurs », « elle réplique le marché » en investissant dans « toutes les actions ». Voilà le mantra qu’auront entonné, des années durant, les porte-parole médiatiques de la Banque nationale suisse. Pour expliquer son refus de défendre les intérêts stratégiques de la Suisse et pour justifier ses investissements dans le nucléaire militaire américain, notamment…

 « La BNS se considère comme un investisseur purement financier, et ses placements ne poursuivent donc aucun but stratégique. Elle ne procède pas à une sélection active de titres dans ses placements en actions, mais son portefeuille reproduit le marché concerné dans son intégralité. » (Rapport de gestion 2016, p.75)

Vérifier que la BNS se trompe ? Rien de plus facile !

Pourtant, démontrer le fait que la BNS ne se contente pas de « reproduire le marché » en investissant de manière équilibrée dans l’intégralité des entreprises concernées n’a rien de sorcier. En témoigne un récent article du blog financier zurichois InsideParadeplatz qui, en un seul tableau, prouve que la BNS peut privilégier certaines actions par rapport à d’autres dans les investissements qu’elle réalise en continu sur le marché américain :

Achats nets d'actions - BNS IV.pngSource : U.S. Securities & Exchange Commission, sec.gov

Contrairement à InsideParadeplatz toutefois, nous ne nous préoccuperons pas trop de savoir quels « algorithmes » régissent ces décisions d’investissement… Ce qui nous intéresse en revanche au plus haut point, c’est le fait que la Banque nationale ne sait visiblement pas comment est géré son gigantesque portefeuille actions !

Ce constat choquant pose évidemment la question de la surveillance des transactions effectuées par le – ou les – sous-traitant(s) financier(s) de la Banque nationale. Comment la BNS peut-elle en effet s’assurer que son portefeuille actions est bien géré si les processus de sélection de ses titres ne sont pas maîtrisés ?

 Le conseil de banque de la BNS sur la corde raide

 En vertu de la Loi sur la Banque nationale, c’est au conseil de banque de la BNS qu’il appartient de contrôler la manière dont la politique de placement de l’établissement est mise en œuvre :

« Il appartient au Conseil de banque de surveiller l’ensemble des processus de placement et de contrôle des risques. » (LBN art. 42 2.e)

Les affirmations erronées de la BNS concernant sa politique de placement sont donc à imputer à cet organe discret – d’ailleurs très largement composé d’élus politiques issus des partis les plus divers (PS, PDC, PLR, PBD, UDC).

Or les compétences de ces politiciens tant en matière de politique monétaire que de finance des marchés sont rarement évidentes (leurs CV peuvent être consultés en ligne sur le site de la BNS)…

On remarquera par ailleurs qu’au sein du conseil de banque, le « comité des risques » n’est composé que de trois membres… Et ce alors même que les réserves de change de la BNS frôlent aujourd’hui les 800 milliards de francs ! Il n’est dès lors pas difficile d’imaginer que certaines décisions d’investissement soient prises à l’insu de ce petit groupe composé de deux économistes et un avocat d’affaires…

Top 20 Shares

Voilà qui pourrait donc expliquer le fait que l’organe de contrôle suprême de la BNS (2) est visiblement en train de faillir à son mandat de contrôle des placements.

Le favoritisme dont fait actuellement preuve la BNS vis-à-vis de certaines entreprises appelle dans tous les cas une clarification sur la manière dont sont prises ses décisions d’investissement. On rappellera au passage le soutien apporté aux actions Apple et Valeant au moment même où ces titres vacillaient… Le timing parfait des interventions de la BNS avait suscité des questions bien au-delà des frontières nationales !

Après avoir diffusé tant d’années durant des informations erronées, la BNS peut-elle encore faire l’économie d’une communication transparente en matière d’investissements ? Peut-elle continuer à éluder indéfiniment la question de la marge de manœuvre laissée à ses sous-traitants ? Et pourquoi entretenir tant de mystère autour de leur identité ?

VCrépusculeincent Held, Master en Finance (HEC Lausanne) et auteur du Crépuscule de la Banque nationale suisse, publié aux Éditions Xenia (synopsis). 

Notes

1) Ce constat se base sur la situation observée à la fin septembre 2017. Les autorités américaines publient la liste des positions boursières de la BNS aux États-Unis sur une base trimestrielle.

2) « Le conseil de banque surveille et contrôle la gestion des affaires de la Banque nationale; il s’assure en particulier que la loi, les règlements et les directives sont respectés. » (Loi sur la Banque nationale, art. 42 al.1)

Lectures recommandées :

17 réflexions sur “Favoritisme délibéré ou perte de contrôle ? La politique d’investissement chaotique de la Banque nationale suisse. Vincent Held

  1. Bonjour !

    Désolé pour ma question naïve:
    Si je vous comprends bien, les placements de la bns sont sous-traités à des prestataires inconnus???
    Si oui, inconnus de qui: du public, des politiques, du ministre de l’économie, des commissions de gestion du parlement suisse en charge de la surveillance de la politique économique?
    De tout le monde, sauf les membres du conseil de banque de la bns?

    Merci et encore bravo pour votre livre, en passant…

  2. Je pense que la BNS, entre autres, est discrètement passée sous contrôle de l’UE. Sans doute qu’ils seront nombreux en Suisse à se réveiller un jour ou l’autre avec la gueule de bois …
    Courant 2017 Juncker ne se privait même pas de l’étaler.

  3. Pingback: A lire chez LHK analyse critique de la gestion du portefeuille de la BNS – brunobertez

  4. @Raloul: merci beaucoup pour vos encouragements, j’ai reçu assez peu de retours sur le bouquin pour l’instant, donc j’apprécie d’autant plus !

    Concernant la délégation par la BNS de certaines activités de gestion de fortune, c’est parfaitement transparent. Je vous invite à consulter son rapport 2016 (p.77) qui précise :

    « La Banque nationale fait appel à des gestionnaires de fortune externes afin de permettre une comparaison avec la gestion de portefeuille interne et pour accéder efficacement à de nouvelles catégories de placements. »

    De telle sorte que :

    « La grande majorité des placements est gérée en interne. »

    Or, comme vous le savez, la grande majorité des actifs financiers de la BNS correspondent à de la dette – principalement européenne et américaine. C’est vraisemblablement cela que ‘gèrent’ les fonctionnaires de la BNS qui, si l’on en croit JP Danthine, sont incompétents en matière de gestion de portefeuilles-actions.

    A ma connaissance, la question de l’identité de ces « gestionnaires de fortune externes » n’a jamais été posée, ni par les milieux politiques, ni par les médias. Peut-être le souvenir de ce qui est arrivé à Christoph Mörgeli suite à sa malencontreuse question sur la gestion du ‘fonds de stabilisation’ suffit-il à dissuader nos élus ?

  5. Nadine, ma méconnaissance de la situation me conduit à vous demander ce qui vous fait penser que la BNS serait passé sous contrôle de l’UE. Pouvez-vous préciser un brin la piste de Juncker? un lien ou autre?
    Merci d’éclairer ma lanterne!

  6. Si la BNS ne favorisait pas telle ou telle action elle pourrait parfaitement investir sur des produits répliquant les indices. Elle n’est donc pas sincère sur ce point. Sans refaire le débat sur pourquoi la BNS prend des positions pareilles sur les actions US, on peut penser qu’elle cherche manifestement à gérer un risque de liquidité, probablement en raison de la taille de ses investissements et pour ne pas avoir des centaines de lignes à gérer. Elle a donc contribué à la hausse stratosphérique des plus grosses valeurs que sont les GAFA… C’est finalement paradoxal car on gère un risque et on en crée un autre sur la valorisation.

  7. @ psst008

    Ce n’est qu’une piste bien sûr, et seulement pour « éclairer nos lanternes ».
    Mais nous savons tous à quoi tendent les grandes histoires d’amour entre dominants et dominés. Bien à vous.

    (NOV 2017)
    …/… La Suisse, une affaire d’hommes forts à Bruxelles
    Sous Jean-Claude Juncker, le dossier suisse est devenu une affaire très politique. Deux hommes venus du même sérail secondent le président de la Commission européenne.

    https://www.letemps.ch/suisse/suisse-une-affaire-dhommes-forts-bruxelles

    …/…Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a rencontré Doris Leuthard à Berne jeudi. Ils ont annoncé que les discussions sur un accord-cadre n’aboutiraient pas cette année, mais rapidement après…/…Bruxelles tient à un accord-cadre pour garantir l’accès au marché européen, via une reprise plus systématique par la Suisse du droit de l’UE.

    https://www.letemps.ch/suisse/suisse-lunion-europeenne-veulent-un-accord-damitie-debut-2018-deja

    «Jean-Claude Juncker aime la Suisse, qu’il connaît bien», témoigne l’ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin. «Il s’est parfois un peu agacé de la Suisse lorsqu’elle avait tendance à se considérer comme le centre du monde, mais il le faisait remarquer toujours gentiment, sans agressivité ni mépris…/…»

    https://www.letemps.ch/suisse/jeanclaude-juncker-lami-exigeant-suisses

    …/… Mais le dossier le plus important était le statut d’équivalence que les Suisses réclament pour leur législation afin d’accéder au nouveau marché des services financiers de l’UE, appelé généralement Mifid II. A cet égard, Bruxelles a laissé entrevoir son aval pour le début de l’année prochaine, mais tous les détails sont encore loin d’être réglés…/…

    https://www.letemps.ch/suisse/feu-vert-milliard-cohesion

    Déc 2017 :

    Nouveau regain de tensions entre la Suisse et l’Union européenne, après une courte embellie. La limitation du certificat d’équivalence boursière de la Suisse à une année irrite le gouvernement helvétique. Quant à la presse, elle estime que le Conseil fédéral a tout intérêt à faire profil bas.

    https://www.swissinfo.ch/fre/economie/relations-bilat%C3%A9rales-_l-union-europ%C3%A9enne-met-la-suisse-sous-pression/43772224

    Fév. 2018 :

    SUISSE-UE LE STYLE CASSIS AGACE
    Ignazio Cassis veut dédramatiser le dossier européen en utilisant des formes géométriques comme dans un jardin d’enfants. L’UDC n’est pas convaincue!

    https://www.lematin.ch/suisse/style-cassis-agace/story/21358475

  8. Effectivement de fort pertinentes questions qui n’auront probablement pas l’honneur d’une réponse à la prochaine assemblée générale…
    Un autre point que je ne me souviens pas d’avoir vu discuter: que fait la BNS de ses droits de votre dans ces sociétés ? Une procuration en blanc à G&S ?

  9. Dans les faits, la Suisse est désormais sous la bannière européenne, tout comme l’Europe est sous la bannière des USA. C’est cela la mondialisation, ou globalisation… comme vous voudrez.

  10. @ Robert

    Je partage votre sentiment.
    L’UE est une construction américaine, et ses principaux dirigeants sont idéologiquement des vassaux. En conséquence les USA n’allaient pas permettre que celle-ci devienne une puissance autonome.
    L’Europe, donc, ne doit pas se défendre. L’idéologie libre-échangiste y pourvoit.

  11. Le roi n’est pas encore nu parce qu’ il se couvre de faux papiers. Comme a écrit Paul Craig Roberts les banques centrales se sont mis a acheté pour des milliards les d’actions pour éviter l’effondrement complet, le système à la Ponzi mondiale continuera encore jusque a quand ? Jamais dans l’histoire humaine la fraude mondiale sur la monnaie a été aussi concerté, mais elle sera aussi la plus destructrice envers les populations que les banques centrales faussaire devais protéger. Plus on retarde l’inévitable remise a niveaux des dettes mondiales plus se sera douloureux.

    https://www.paulcraigroberts.org/2018/02/06/another-arrested-equity-correction-paul-craig-roberts/

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