Le moment de Minsky. Michel Santi

Hyman Minsky, mal-aimé clairvoyant

Décédé en 1996, Hyman Minsky fut un économiste quasiment inconnu de son vivant. Seuls certains esprits éclairés – assurément hétérodoxes – s’intéressèrent à ses recherches qui portaient sur les causes des crises financières. Il ne dut son heure de gloire qu’à la faveur de l’implosion des subprimes en 2007 et c’est comme si l’ensemble du monde de la finance, de l’économie et de la politique – totalement déboussolé – découvrit alors ses travaux. Les banquiers centraux n’eurent dès lors de cesse de le citer dans leurs discours, et les médias de qualifier la crise prévalant à l’époque de “Minsky moment”. Jamais mentionné – même très brièvement – par la presse de son vivant, « The Economist » le cita pourtant plus de 30 fois la seule année 2007 !

En réalité, l’approche de Minsky n’eut rien de conventionnel car il évita autant que possible dans ses travaux de faire appel aux mathématiques, tout-puissants dans la science économique. En outre, l’objet fondamental de ses recherches – les racines profondes des crises – était hautement impopulaire à une époque où l’idéologie dominante du XXème siècle consistait en une croyance aveugle en des marchés efficients et rationnels. Son impopularité – ou plutôt son absence totale de visibilité – provenait donc de son fonds de commerce – l’étude des crises – dans un contexte où la quasi-totalité des intervenants tous horizons confondus considérait les marchés financiers comme l’arbitre suprême. Les économies modernes, dites «intégrées», étant censées avoir vaincu leurs démons les plus malins, toute crise ne pourrait par définition que se révéler passagère et n’avoir qu’un impact limité sur l’économie.

C’est dans cette conjoncture marquée par un déni quasi absolu sur les capacités de nuisance des marchés que Minsky développa son hypothèse sur l’instabilité financière et démontra que les tourmentes économiques sont précisément issues et causées par les longues périodes de prospérité. Il décrivit ainsi des contextes où les privés et les entreprises se lancent frénétiquement dans des emprunts sans même avoir les liquidités suffisantes leur permettant de s’acquitter des seuls intérêts de leurs dettes, simplement justifiés par une spéculation misant sur une appréciation ininterrompue de leurs actifs. Un tel phénomène de contamination collective fragilise évidemment à l’extrême le système financier dès lors qu’un resserrement des taux, qu’un incident en général insignifiant voire qu’une simple étincelle pèse sur la valorisation de ces mêmes actifs, provoquant dès lors une avalanche de ventes forcées. La sur exposition de ces investisseurs, mettant à profit un effet de levier gigantesque dans le seul espoir que les valorisations ne fassent que grimper, exacerbe donc l’ensemble d’un système qui ne doit plus – un temps – sa prospérité qu’à de la dette.

Il est facile de comprendre pourquoi Minsky fut un mal-aimé de son vivant car ses conclusions sont fort troublantes. La stabilité économique porte en elle les germes de l’instabilité, car les périodes de grande fragilité ne font que faire écho aux périodes de prospérité. En effet, pourquoi ne pas emprunter encore et toujours plus lorsque la croissance semble insubmersible ? Dans une telle conjoncture, la tentation n’est-elle pas trop grande en effet chez les banques d’être moins regardantes en termes de critères dans l’octroi de crédits ? Les travaux de Minsky sur les effets pervers de la dette – pourtant essentielle dans la compréhension du processus de prospérité économique – furent néanmoins largement ignorés, pour réapparaître bien opportunément lors de la crise majeure des années 2007 et 2008. Aujourd’hui, en 2017, c’est à nouveau la course aux emprunts dans un environnement général de régulation qui tend à se relâcher. Du coup, l’ombre de Minsky s’estompe…jusqu’à la prochaine explosion.

Michel Santi

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5 réflexions sur “Le moment de Minsky. Michel Santi

  1. Pour comprendre la folie des marchés financiers et sans doute découvrir de nouvelles idées, nous devrions lire les vieux livres des économistes n’appartenant pas au courant de pensée dominant. Irving Fisher et Hyman Minsky semblent avoir bien compris le caractère pervers de la dynamique de l’endettement et le monde des paradoxes où les vertus deviennent vices et la prudence devient folie. En gros une économie addictive à l’emprunt se porte bien tant que les créanciers ne prennent pas conscience du risque inhérent à l’endettement. Le jour où ils découvrent le pot aux roses tout peut basculer dans une spirale déflationniste avec de graves conséquences sur l’économie et sur la société comme la crise des subprimes nous en a administré la preuve.

    Comment expliquer le moment Minsky? Une économie avec un faible taux d’endettement est une économie où la dette n’est pas une menace pour la stabilité financière. Au fil du temps cette idée de la dette sûre conduit inévitablement au relâchement des critères du crédit octroyé par les banques aux ménages et aux entreprises. Ces acteurs économiques finissent par développer une addiction dangereuse à l’endettement avec la perspective de réaliser des plus-values tant sur les actions que sur les actifs immobiliers. Ce qui prépare le terrain de la catastrophe future. Il y a dans cette séquence un moment Minsky. Comme l’explique Paul Krugman dans son bouquin intitulé  » sortez-nous de cette crise …maintenant (2012) »  » Ce moment est aussi parfois dit de vil coyotte, en référence au personnage du dessin animé qui poursuit sa course au dessus de la falaise en restant suspendu en l’air jusqu’au moment où il regarde en bas et que conformément aux lois de la physique du dessin animé, il tombe alors ».

    Une fois que les niveaux d’endettement sont suffisamment élevés, tout peut déclencher le moment Minsky – éclatement d’une bulle immobilière, une récession ordinaire….L’événement déclencheur importe peu, ce qui compte c’est que les prêteurs redécouvrent le risque de la dette. Les débiteurs sont forcés de brader leurs biens pour se désendetter, ce qui provoque le déclenchement de la spirale vicieuse de la dette-déflation comme une conséquence mécanique des comportements non-coopératifs . Cette situation où les comportement rationnels débouchent sur une situation sous-optimale est bien en théorie des jeux comme c’est le cas dans le dilemme du prisonnier. En clair quand chaque acteur tente de sauver sa peau et que ce comportement est adopté par tous les acteurs économiques, le résultat final ne pourra être qu’une catastrophe collective.

  2. Edifiant en effet, bravo Liliane de nous rappeler ces vérités fondamentales en économie!

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