Tribunaux arbitraux: comment les multinationales rackettent les états. Serge Escalé

L’existence de tribunaux arbitraux privés qui permettent aux multinationales d’attaquer les Etats si leurs intérêts leur semble lésés et leur demander des compensations chiffrées en millions et milliards d’euros. Et cela, malgré les législations nationales, une grave anomalie contrevenant aux règles démocratiques. Ces tribunaux arbitraux sont au coeur de la contestation des traités commerciaux transatlantiques CETA et TAFTA.

Dans « Envoyé Spécial » du 16 novembre 2017, une enquête explique pour la 1ère fois, de manière claire et détaillée, comment les multinationales se servent des tribunaux arbitraux, une juridiction privée, pour imposer leur choix au-delà de l’intérêt commun touchant aux services publics, au social, à la santé ou à l’environnement. Il s’agit d’une justice ad-hoc qui fait pression sur les Etats au bénéfice exclusif de leurs profits. A la clé, la demande illégitime par les multinationales de millions voire de milliards de dollars et d’euros d’argent public au titre de la protection de leurs investissements. Dans l’enquête, ces pratiques apparaissent au grand jour avec les exemples de l’Argentine, de la Roumanie, de l’Uruguay et du Togo, aux prises avec les multinationales. La cible privilégiée de nombreuses multinationales sont les pays en voie de développement ou en transition démocratique et économique.

Le cas le plus emblématique est celui de la Roumanie, plus précisément du village de Rosia-Montana en Transylvanie aux prises avec la compagnie minière canadienne Gabriel Resources. Retour en arrière. En 1997, Gabriel Resources fait une campagne de publicité massive en promettant  des écoles, des emplois, etc. provenant de  l’exploitation souterraine de tonnes d’or et d’argent. L’objectif est d’en faire la plus grand mine d’or à ciel ouvert d’Europe. Pour réaliser ces bienfaits mirifiques, il aurait d’abord fallu raser une bonne partie de la région et du village mais le principal litige est la méthode d’extraction de Gabriel Resources, qui, pour séparer l’or de la roche, voulait utiliser du cyanure (cf ci-dessous), soit environ 200.000 tonnes sur les 16 ans d’exploitation prévus.  Conséquence de cette méthode radicale:  les vapeurs de cyanure se dispersent  dans l’atmosphère et se retrouvent dans les pluies dans un rayon 50 km autour de la zone d’extraction. La contamination se propage par le lait des vaches avec atteinte des poumons des consommateurs. Ce projet minier supposait le déplacement de 2000 personnes déplacées, la destruction de 1000 maisons ainsi que la disparation d’activités touristiques. En 2013, des membres du Parlement roumain  viennent vérifier sur place. Pour contrer cette action publique, la compagnie fait défiler ses employés dans les rues de Rosia-Montana. L’affaire médiatisée devient alors une cause nationale, le plus grand mouvement de contestation depuis la chute de Ceaușescu fin 1989.  Au final, le Parlement roumain vote l’abandon du projet. Aussitôt, Gabriel Resources attaque la Roumanie suivant la procédure arbitrale privée en avançant 630 millions d’euros d’investissement dans ce projet. Elle demande 3,7 milliards € de dédommagement (soit 2 % du PIB de la Roumanie ou son budget annuel pour l’éducation ! ) à Bucarest, un record du genre et fonde sa requête sur la base des profits attendus sur 16 ans d’exploitation. Elle mise tout sur un arbitrage favorable contre la Roumanie .

 

Au niveau de l’Union Européenne, la société civile n’a, dans le litige Roumain, aucun accès à l’information. La seule action possible est de présenter un court document de 20 pages que les arbitres ne sont pas tenus de le lire. 20 pages pour résumer 15 ans de combats … Le député écologiste Yannick Jadot est l’un des plus engagés contre l’arbitrage privé mais il n’a pas beaucoup de poids auprès des instances européennes.

Des juristes détracteurs des tribunaux arbitraux

L’avocat Angus Van Harten a analysé tous les litiges connus à ce jour entre les multinationales et les Etats. Il prévient: « Dans tout investissement des multinationales il y a un risque réel de dommages pour les gouvernements comme pour les contribuables« . Or, chaque pays qui veut attirer les investisseurs se voit imposer des conditions draconiennes de protection des investissements avec un règlement des litiges qui repose sur les tribunaux arbitraux privés. Envoyé Spécial a suivi Marcos Orellana, juriste pour les ONG, lors d’une procédure à Washington au Cirdi, un tribunal arbitral hébergé dans les locaux de la Banque Mondiale. Il n’a pas eu accès aux documents et n’a pu rencontrer les arbitres. En bref, il a été roulé dans la farine avec la diffusion différée d’une heure  pour supprimer des éléments confidentiels. La moitié du script des débats a été caviardé. La fin de procédure n’est pas attendue avant deux ans et pendant ce temps les juges facturent leur honoraires et  ont par conséquent tout intérêt à la faire trainer.

Cirdi_Trbunal_Arbitral

Les revenus des juge arbitraux sont très juteux. Pour un litige de 500 Millions d’€, un juge perçoit 350.000 €.  Aux Etats-Unis, les honoraires sont facturés 2500 €/jour et sont payés pour partie avec de l’argent public. Thomas Clay, juge arbitral français, dénonce des heures facturés et non effectuées.

Analyse du résultat des procédures arbitrales sur plusieurs années

Les entreprises gagnent les procédures dans un tiers des litiges, un autre tiers se conclut par une transaction entre la multinationale et l’Etat. Les Etats ne gagnent donc qu’un tiers des arbitrages.

L’Argentine, cible des tribunaux arbitraux  pendant le krach de 2001

En 2001 le pays est en faillite et subit de plein fouet une très grave crise économique. En 2002, le gouvernement argentin décrète un loi d’urgence économique avec, à la clé, le blocage des tarifs des services publics de l’eau et de l’électricité. Immédiatement, des grandes entreprises, Continental, Daimler, Vivendi, Suez, Total, qui avaient gagné beaucoup d’argent en Argentine  attaquent ce pays exsangue en demandant de lourdes compensations financières, via les tribunaux arbitraux privés. Le président argentin Kirchner demande au juge Osvaldo Guglielmino de colleter les 42 cas d’arbitrage  présentés par les multinationales représentant des dizaines de milliards de dollars.

Dans le cas de Vivendi, il s’agit de la résiliation par l’Argentine d’un contrat sur la fourniture d’eau potable au motif du prix élevé et de la qualité de l’eau. Ce litige est jugé par 3 arbitres dont Gabrielle Kaufmann-Kolher, nommée en 2006 administratrice de l’UBS (Union des banques suisses). Or UBS est un important actionnaire de SUEZ et Vivendi et l’administratrice d’UBS n’a pas informé le tribunal de ce conflit d’intérêt. Malgré cela, les compensations ont été de  90 millions d’euros pour l’Etat argentin à payer à Vivendi.

Au  Togo, Philip Morris fait annuler la neutralité des paquets de cigarettes

En 2010, le Togo met en place une législation imposant aux cigarettiers, le paquet neutre de tabac sans logos, ni photos. Par courrier, Philip Morris menace le Togo de sanctions et dédommagements via un tribunal arbitral sur la base de la violation d’un traité vieux de 50 ans entre la Suisse et Togo. Extrait du courrier « Nos droits de propriété intellectuelle sont attaqués à cause des méthodes de santé public dont l’efficacité n’a jamais été prouvée » Pression réussie, le  Togo, un des pays lees plus pauvres d’Afrique, a  depuis fait marche arrière. Philip Morris a ainsi attaqué le Canada, le Gabon, l’Afrique du sud , l’Australie, l’Uruguay.

Philip Morris s’en est pris à l’Uruguay

Pour les mêmes raisons qu’au Togo, Philip Morris a donné la priorité à des aspects commerciaux face à la santé et à la vie en attaquant l’Uruguay mais a perdu le procès après 6 ans de batailles juridiques. Les 23 Millions de dollars de frais de justice ont été payés par Philip Morris et l’Uruguay. Soit 2 Millions de plus que ce que demandait Philip Morris comme dédommagement mais au final, toutes les sommes déboursées par Uruguay ont remboursées. Cette conclusion est rare.  En s’attaquant à des pays faibles, Philip Morris souhaite faire un exemple pour dissuader d’autres pays d’attaquer ses intérêts commerciaux.

Veolia a attaqué l’Egypte qui avait augmenté le salaire minimum de 31 euros par mois

En 2011, à la suite du « printemps arabe » l’Egypte rehausse le salaire minimum mensuel de 400 à 700 livres par mois (de 41 à 72 euros). Il s’agit d’une des rares conquêtes sociales de cette révolte contre la férule autoritaire d’Hosni Moubarak.  Aussitôt, Veolia attaque l’Etat Egyptien au motif  que cette nouvelle loi sur le travail contreviendrait aux engagements pris dans le cadre du partenariat public-privé signé avec la ville d’Alexandrie pour le traitement des déchets.

La notion d’intérêt général doit prévaloir

Il est nécessaire de bien poser les enjeux. A moins de faire table rase de l’économie de marché, il faut distinguer la protection des investissements des entreprises, de l’intérêt commun des peuples sur les plans économique, social et environnemental.  Ainsi Ecomouv’, la société italienne qui a installé les portiques sur les voies de circulation pour collecter la taxe carbone, était fondée de demander les 839 Millions d’euros en compensation de la décision du gouvernement français d’annuler le projet de loi en 2013. Tous les litiges peuvent et doivent être réglés par les juridictions nationales, issues du système démocratique des Etats, sans recours à des tribunaux arbitraux qui sont à la fois juge et partie.  C’est le rôle de la loi de protéger le faible contre le fort, une exigence démocratique amplement piétinée par les multinationales.

Serge Escalé  

Note: Traitement du minerai d’or (Source Wikipédia)

Procédés de cyanuration de l’or

Article détaillé : Cyanuration.

La découverte des procédés chimiques de cyanuration de l’or a permis d’augmenter la quantité d’or récupérée par l’industrie minière.

L’extraction d’or (et/ou d’argent) au cyanure est de plus en plus utilisée car elle permet de récupérer les molécules ou fines particules d’or au sein même de la roche finement broyée via une solution de cyanure de sodium. Quand le cyanure a extrait l’or, du zinc est ajouté à la solution ce qui cause une précipitation du zinc résiduel ainsi que de l’argent et de l’or. Le mélange est ensuite passé à l’acide sulfurique qui dissout le zinc, mais non l’or ni l’argent. La boue résiduelle est ensuite fondue en un lingot, ce qui permet de vaporiser le mercure éventuellement présent. Ce lingot étant encore riche en impuretés, il est envoyé dans une raffinerie métallurgique qui après un traitement adéquat obtiendra de l’or et/ou de l’argent presque purs (pureté jusqu’à 99,9999 %) et éventuellement d’autres métaux commercialement précieux.

Dans les années 1970 le traitement a été amélioré avec du charbon activé utilisé dans l’extraction de l’or à partir de la solution de lixiviation, les particules ou nanoparticules d’or étant absorbées dans la matrice poreuse du charbon. Le charbon actif ayant une surface interne très importante (15 grammes de charbon activé offrent une surface développée de contact comparable à la surface du terrain de cricket de Melbourne Cricket Ground ( 18 100 m2)14. L’or peut ensuite être séparé des chaînes d’atomes de carbone en utilisant une solution concentrée de soude caustique et de cyanure, lors d’un processus nommé « élution ». L’or est ensuite étalé sur de la laine d’acier par électrolyse.

Des résines échangeuses spécifiques peuvent aussi extraire l’or et remplacer le charbon activé, notamment s’il faut séparer l’or d’autres métaux également présents dans le charbon activé (du cuivre souvent).

La technique de « dissolution alcaline avec cyanure » a été fortement développée ces dernières années, car approprié aux minerai à faible ou très faible teneur en or (exemple : moins de 5 ppm d’or), tout en permettant aussi la récupération de cuivre ou d’argent. Son utilisation n’est d’ailleurs pas limitée à ces minerais.

Son inconvénient est qu’elle présente de graves risques environnementaux liés à la toxicité aiguë des composés de cyanure impliqués, pour l’Homme, comme pour la plupart des autres espèces. L’un des accidents récents les plus graves a été celui de la mine de Baia Mare où en 2000 où à la suite de la rupture d’une digue de barrage d’un bassin de décantation/ retraitement des déchets miniers, environ 100,000 mètres cubes d’eaux usées polluées par des boues riches en métaux lourds et en cyanures (122 t environ de cyanure) ont pollué la rivière Tisza, y tuant une grande partie de la faune15. La plupart des pays ont renforcé leur législation sur la gestion de ces cyanures qui doit être détruit par les industriels dans des unités spéciales de stockage, mais il est difficile d’empêcher les oiseaux de se poser dans les bassins. »

 

2 réflexions sur “Tribunaux arbitraux: comment les multinationales rackettent les états. Serge Escalé

  1. Il serait plus opportun de dire que les multinationales rackettent les contribuables !
    Pour ce faire elles installent aux pouvoirs des dirigeant(e)s complices qui affectionnent de tripatouiller, de se goberger et de se prostituer avec la Finance et leurs puissants alliés.

    Il ne s’agit pas de failles dans un système , c’ EST le système.

  2. Oui. Les politiques ont totalement capitulé -ou ont été achetés, le résultat est le même- devant les sociétés et la finance supranationales. Le pouvoir politique n’a plus qu’une apparence, le pouvoir financier mondialiste est la réalité…

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