Lettre à la Suisse. Par Sébastien Jallamion

Contraint à l’exil pour des raisons que je n’aurais jamais cru possibles, je foule aujourd’hui une terre dont les particularités sautent aux yeux du Français que je suis.

Tout d’abord, j’ai posé mon regard sur un paysage naturel où les nombreux sites se marient avec une agriculture dont la France a perdu jusqu’au souvenir. Ici, pas de monoculture subventionnée par l’Union Européenne : les champs sont restés des mosaïques aux couleurs de blé, de tournesol, de maïs, et les vignes, lorsqu’elles s’étendent en bordure des villages, les prolongent en même temps qu’elles les protègent d’une urbanisation excessive.

Ici les fermes sont sensiblement de même taille, les exploitations sont à dimension humaine. J’ai vu paître des vaches dans un cadre bucolique, précisément à leur place, là où les hommes les ont sélectionnées depuis des temps immémoriaux pour se nourrir.

Bien entendu, cette agriculture bénéficie d’aides publiques afin de garantir sa pérennité, mais ce n’est pas tant l’aspect économique lié à l’indépendance alimentaire qu’elle suppose que l’entretien des paysages naturels qui en découle qu’il faut considérer ici : la contrepartie n’a pas de prix.

Cette nature préservée se manifeste partout : ici il n’y a aucune ville que l’on ne quitte sans se plonger tout à coup dans un univers végétal, et rares sont les lieux où l’on ne voit poindre à l’horizon des sommets de pierre dessinant un tableau changeant. Si la Suisse est une toile, c’est une toile de Maître, dont le coup de pinceau ne cesse de se produire.

J’ai le sentiment d’avoir cerné la vraie richesse de ce pays, celle que les anciens ont transmis aux nouvelles générations, celle dont les vivants ont pour lourde tâche de transmettre à leur tour.

Ce sont les mots que je voulais vous dire, moi le petit Français, issu d’une famille de paysans qui a vu la France se suicider en confiant la gestion de son agriculture à l’Union Européenne soumise aux lobbies des firmes multinationales, et qui voit aujourd’hui ses agriculteurs se suicider au rythme d’un tous les deux jours.

Nous sommes des héritiers. C’est en l’oubliant que l’on meurt définitivement.

Sébastien Jallamion

 

 

4 réflexions sur “Lettre à la Suisse. Par Sébastien Jallamion

  1. Pingback: Tribune libre – Lettre à la Suisse dont les exploitations agricoles sont à dimension humaine | La Méduse

  2. Magnifique cette lettre à la Suisse. Elle nous permet de nous rappeler que nous avons de la chance quelque part…
    Je mettrais tout de même des cautèles dans la mesure où nos cours d’eau sont affectés de polluants et que les domaines agricoles tendent également à « gonfler » selon la volonté politique. Puisse donc cette lettre rappeler à nos politiques de nous permettre de conserver ce qui l’a été et développer plus encore le respect de notre environnement (notamment par un respect toujours plus étendu des standards minima du Bio suisse [bio bourgeon]).

  3. Merci de ce témoignage, il ne reste plus qui’à lutter férocement pour empêcher la Migros et Coop de faire mourir nos paysans…..

  4. Il faut souhaiter à la Suisse de savoir – et de pouvoir – sauvegarder son originalité dans un monde de plus en plus intégré ! En ce qui concerne la France, ce pays aux mille atouts est en train de se déliter dans cette Communauté européenne qui n’est qu’un vague « fourre-tout » dirigé par des technocrates, aux ordres du grand frère (?) américain…

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