Les taux négatifs au secours de la réforme du régime des retraites. Vincent Held

Crépuscule

Le 17 février 2017, le directeur de la BCV nous apprenait que son établissement ponctionnait les comptes de certains de ses « clients institutionnels », parmi lesquels « le canton de Vaud ».

Ceci sur la base de « règles personnalisées », comme le reportait pudiquement le journal Le Temps. Plus précisément, il s’agissait de conduire une « étude de chaque cas particulier » en tenant compte de « son historique, son volume d’affaires avec la banque, etc. ».

En clair : les taux négatifs pouvaient être imposés à la tête du client…

Mais pour choquant qu’il puisse paraître, un tel arbitraire n’avait en réalité pas grand chose d’étonnant.

Des procédés confiscatoires cautionnés par le Parlement

Il faut en effet souligner le fait que l’application de la fameuse « politique des taux négatifs », censée permettre à la BNS de lutter contre la force du franc, aura été entièrement déléguée au système bancaire suisse.

Car ce n’est pas sur les afflux de capitaux étrangers que la BNS aura décidé de prélever une taxe – mais bien sur les gigantesques avoirs en comptes de virement des banques. (1) Or ce sont précisément ces avoirs en compte de virement qui auront constitué, des années durant, la principale source de financement de sa très coûteuse politique d’affaiblissement du franc !

comptes de virements bns.png

Le point rouge indique la situation à la fin novembre 2014, soit juste avant le lancement de la « politique des taux négatifs »

Ainsi donc, la BNS aura imposé le paiement d’un intérêt négatif aux banques qui avaient décidé de financer sa politique monétaire non conventionnelle… et ces banques, à leur tour, auront pu librement répercuter ce coût sur l’épargne-retraite des Suisses !

Un mode de fonctionnement d’une injustice criante, certes, mais auquel le Parlement aura donné sa bénédiction en février 2017. Ceci via le rejet d’une motion déposée par le PDC, dont la formulation semble d’ailleurs indiquer que son auteur était tout à fait conscient de ce que nous venons d’expliquer. A savoir : que le secteur bancaire s’était autorisé, de son propre chef, à ponctionner les capitaux de l’épargne-retraite suisse.

Les milieux politiques auront donc, une fois de plus, laissé la BNS assumer la responsabilité d’une mesure impopulaire… tout en la cautionnant discrètement ! (La motion susmentionnée n’aura d’ailleurs fait l’objet d’aucun débat.)

Mais si l’efficacité de cette mesure sur l’affaiblissement du franc n’a jamais été démontrée, la « politique des taux négatifs » aura, en revanche, largement contribué à préparer le public helvétique à un projet de réforme du régime des retraites fort impopulaire…

Et en avant vers la compression des rentes LPP !

Rappelons avant tout qu’en décembre 2008, le Parlement avait adopté un projet de loi du Conseil fédéral qui prévoyait d’abaisser les taux de conversion des capitaux LPP de 6.8 à 6.4 pourcents – de nouvelles baisses pouvant être librement décidées par les autorités fédérales tous les cinq ans. (2)

Or, cette réforme radicale avait été bloquée par un référendum d’initiative populaire en mars 2010, plus de trois-quarts des votants s’étant opposé à la perspective d’un démantèlement progressif de leurs rentes vieillesse.

Ce projet de loi mal-aimé n’en réapparaîtra pas moins peu de temps après sous l’appellation Prévoyance 2020. Il est intéressant de noter que, quoiqu’annoncée dès 2012 par le Conseiller fédéral Alain Berset, cette réforme ne sera soumise au Parlement qu’à la fin 2014. Le 19 novembre, pour être très précis.

Et voilà qu’un mois plus tard à peine, le 18 décembre 2014, la BNS adoptait sa tristement célèbre « politique de taux d’intérêts négatifs » !

Une mesure qui allait ajustement mettre le niveau des rentes LPP au cœur de l’actualité médiatique. Avec un message très clair : du fait des taux négatifs, les institutions de prévoyance ne pourront pas maintenir leur niveau de prestations.

Car comme n’aura eu de cesse de le répéter des mois durant le directeur de la filiale suisse d’UBS : « [Les taux négatifs] pèsent sur notre système de prévoyance […] Nous allons être confrontés à un gigantesque manque de capital. Notez que cela vaut également pour le financement de l’AVS. »

Du pain bénit pour Alain Berset, qui devait s’appuyer dès le premier jour des débats parlementaires sur cet argumentaire pour justifier la nécessité de sa réforme :

« Nous n’avons pas connu de rendements aussi faibles depuis très longtemps, comme en témoigne le débat portant actuellement […] sur les taux négatifs et les conséquences que cela peut avoir sur les placements des caisses de pension […] Dans ce contexte, il est nécessaire d’envisager une réforme importante du système de prévoyance vieillesse. »

Ainsi donc, la désacralisation de l’épargne-retraite des Suisses par les banques – au premier rang desquelles UBS, rappelons-le – aura préparé le public helvétique à la compression de ses rentes LPP.

Un conditionnement tout à fait en phase avec le texte de la réforme adoptée par le Parlement le 17 mars 2017, qui prévoit que de telles révisions à la baisse puissent être imposées (à tout moment !) par les autorités fédérales :

« Le Conseil fédéral soumet un rapport à l’Assemblée fédérale tous les cinq ans au moins. Ce rapport contient les bases qui permettent de déterminer le taux de conversion minimal des années suivantes. » (3)

La « politique des taux négatifs », présentée comme une nécessité économique par la Banque nationale, ne serait-elle en réalité qu’un argument-marketing au service de la « réforme Berset » ? C’est ce que pourrait indiquer le soutien de la classe politique à cette mesure étonnamment brouillonne, dont elle déplore par ailleurs les effets néfastes sur le système prévoyance suisse !

Vincent Held, Master of Science in Finance HEC Lausanne

(1) « L’intérêt négatif est prélevé sur les avoirs en comptes de virement libellés en francs suisses. » (Source : BNS, Note concernant le prélèvement d’un intérêt négatif sur les avoirs en comptes de virement, 01.05.2015)

(2) « Le taux de conversion minimal s’élève à 6,4 % à l’âge ordinaire de la retraite pour les hommes et les femmes. Le Conseil fédéral présente un rapport à l’Assemblée fédérale tous les cinq ans, la première fois en 2011. Ce rapport contient les éléments qui permettent de déterminer le taux de conversion minimal des années suivantes. »

Source : Parlament.ch, Prévoyance professionnelle – taux de conversion, Objet du Conseil fédéral (N°06.092), Texte soumis au vote final (art. 14 al. 3)

(3) Source : Parlament.ch, Prévoyance vieillesse 2020 (Objet N°14.088), Texte pour le vote final (modification de la Loi sur la prévoyance professionnelle, art. 14 al.3), 17.03.2017

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Le tableau est tout autre en Europe, où les taux d’intérêt risquent de rester durablement bas. «Et c’est ce qui est déterminant pour nous. Aussi allons-nous devoir continuer de miser sur les taux négatifs en Suisse», a affirmé le banquier central. Si l’on venait à dévier de cette politique de manière unilatérale, on assisterait à une détérioration généralisée de l’économie helvétique, a prévenu le patron de la BNS.

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