La démocratie directe suisse polluée! Judith Barben

la-propagande-en-couleurs

Entrer une légende

« La garantie des droits politiques protège la libre formation de l’opinion des citoyens et des citoyennes et l’expression fidèle et sûre de leur volonté. » (Art. 34   al. 2 de la Constitution fédérale)

« La liberté de la formation de l’opinion exclut par principe toute prise d’influence directe des autorités qui serait de nature à fausser la libre formation de la volonté des citoyens avant des votations et des élections. »1 (Tribunal fédéral suisse)

La Suisse est le seul pays à connaître une démocratie directe. Ses citoyennes et ses citoyens peuvent se prononcer sur des sujets spécifiques. Des études scientifiques montrent que la démocratie directe conduit à des solutions politiques porteuses dans la durée et augmente la satisfaction de chacun.2 En particulier, la possibilité de participer activement à des initiatives accroît le sentiment de satisfaction de chacun. Ce modèle pourrait être repris dans d’autres pays – après avoir été adapté aux spécificités locales. Ainsi la démocratie directe est « moderne, efficace, elle peut être perfectionnée et exportée ».3

Conception  personnaliste de l’homme et démocratie   directe

La démocratie directe est fondée sur une conception personnaliste de l’homme. Elle implique que l’homme est considéré comme un être complet, social et raison- nable. Etant doué de volonté, il est en mesure de déci- der et d’agir de façon éthiquement responsable. Cette conception de l’homme est d’ailleurs inscrite dans la Constitution fédérale :

« Tous  les  Suisses  et  toutes   les   Suissesses   […]   ont  les droits politiques en matière fédérale. Tous ont les mêmes droits et devoirs politiques. Ils peuvent prendre part à l’élection du Conseil national et aux votations fédérales et lancer et signer des initiatives populaires et des demandes de référendum en matière fédérale. » (CF Art. 136)

Des droits politiques similaires existent en Suisse au niveau cantonal et communal. Cette forme de participation de tous les citoyens a acquis à la Suisse une considération  internationale.

Mais la démocratie directe ne se maintient pas d’elle- même. Elle ne fonctionne que si nous  l’entretenons. Chacun doit prendre ses responsabilités dans la vie publique. C’est alors que les questions et les problèmes liés à    la vie en société peuvent être résolus ensemble dans le dialogue. Cela nécessite une participation intellectuelle active ainsi que la volonté de trouver des solutions dans   le sens du bien  commun.

La séparation des pouvoirs, protection contre l’arbitraire

Depuis le siècle des Lumières, les hommes se sont demandé comment vivre ensemble dans l’État et la société de  façon  juste  et  correspondant  à  la  nature humaine.

A cette fin, la séparation des pouvoirs a été reconnue comme principe fondamental. Elle est consubstantielle à l’État de droit et constitue un rempart contre la dictature. Elle protège contre la concentration des pouvoirs et l’arbitraire. Ce n’est que lorsque les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont séparés qu’ils peuvent se contrôler  réciproquement.

Dans la démocratie directe suisse, le peuple et les cantons sont au-dessus des autres pouvoirs. Le peuple et les cantons sont le souverain. Ce sont eux ou leurs représentants au Conseil national et au Conseil des États qui exercent le pouvoir suprême de l’État :

« L’Assemblée fédérale [Conseil national  et  Conseil  des États] est l’autorité suprême de la Confédération, sous réserve des droits du peuple et des cantons. » (CF, Art. 148)

Le peuple et les cantons constituent le législatif, qui adopte les lois et détermine la Constitution fédérale. Le peuple et les cantons se prononcent aussi sur d’importantes questions de gouvernement comme la participation à des alliances militaires.

Le Conseil fédéral n’est au contraire que l’organe exécutif. En tant que tel, il exécute la volonté du peuple et des cantons. Ce faisant, il est très étroitement lié à la Constitution et aux lois. Il ne dirige pas le gouvernement ; il dirige l’administration.4

Rôle du Conseil fédéral lors de  votations

Le rôle du Conseil fédéral lors de votations est clairement réglementé : il élabore les projets de loi puis les présente au Parlement. Il lui explique le contenu et l’objectif desdits projets. Au début d’une campagne de votation,   il présente et explique le projet au public. L’information que le Conseil fédéral fournit aux médias est reprise et diffusée par les journaux, la radio et la télévision dans les quatre régions du pays et rencontre un large écho :

« La séance d’information rencontre généralement un large écho. La plupart des médias rendent compte des principales déclarations des conseillers fédéraux, qui marquent par leur présence, à ce moment crucial du processus de formation de l’opinion, l’importance qu’ils attribuent à l’objet de la votation et peuvent présenter leurs  arguments  à  la  population. »5

La brochure fédérale,

source d’informations la plus  importante

Le Conseil fédéral informe tous les citoyens une deuxième fois au moyen d’une brochure fédérale d’informations qui est envoyée en même temps que le matériel de vote. La « Neue Zürcher Zeitung » considère que cette brochure constitue la source d’information la plus importante pour les citoyens.6  Elle doit être équilibrée,  factuelle et neutre et le Conseil fédéral doit être bref et objectif. Il doit en outre « exposer l’avis d’importantes minorités ».7

Le Conseil fédéral doit faire preuve de retenue durant la campagne de votation en tant que telle. Celle-ci a lieu entre groupe d’intérêts sociaux et politiques :

« La jurisprudence du Tribunal fédéral demande aux autorités de faire preuve de retenue dans leurs activités d’information avant une votation parce que la formation de la volonté doit appartenir aux forces sociales et politiques.   »8

Ce « devoir de neutralité »9 des autorités se base sur le droit des citoyens de former leur opinion et leur volonté librement et sans influence :

« La garantie des droits politiques protège la libre formation de l’opinion des citoyens et des citoyennes et l’expression fidèle et sûre de leur volonté.    »10

A ce sujet, le Tribunal fédéral a arrêté ce qui suit :

« La liberté de la formation de l’opinion exclut par principe toute prise d’influence  directe  des  autorités  qui serait de nature à fausser la libre formation de la volonté des citoyens avant des votations et des élections […]. Il est en outre condamnable que des autorités interviennent dans une campagne de votation par une utilisation  disproportionnée  de  moyens  publics. »11

La Neue Zürcher Zeitung commente :

« Ce n’est […] pas la tâche du Conseil fédéral ni de l’administration trop zélée de ‹mener› directement eux- mêmes des campagnes de votations.   »12

La Confédération contrevient à la liberté de   vote

Il fut un temps où les autorités respectaient généralement ces principes de droit. Mais aujourd’hui, on note de plus en plus d’infractions à ces dispositions légales et constitutionnelles sur la liberté de vote.

La votation fédérale du 21 mai 2006 relative à de nouveaux articles constitutionnels sur la formation est un exemple d’infraction à la libre formation de l’opinion. Lors de cette votation, le Conseil fédéral n’a pas tenu compte   de l’opinion d’importantes minorités. Bien au contraire ! Au lieu de faire état des arguments critiques de façon appropriée, il  a  étalé  son  avis  sur  six  pages  complètes. Il n’a pas accordé une seule ligne aux opposants ! Les personnes critiques à l’égard de  ces  nouveaux  articles  sur la formation ont d’emblée été qualifiées « d’infime minorité  »,13   ce qui était dépréciatif.

Mais premièrement, les minorités doivent aussi trou- ver une écoute en Suisse, deuxièmement, personne ne sait avant une votation qui est minoritaire et troisièmement, tous les citoyens ont le droit de connaître les arguments  de la partie  adverse.

Par son « information » unilatérale concernant les nouveaux articles sur la formation, le Conseil fédéral a clairement contrevenu au droit à la libre formation de l’opinion et ceci dans le but d’inciter les citoyens à adopter l’objet qui leur était soumis. Mais c’est justement ce qu’il n’a pas le droit de faire :

« Les autorités » ne doivent « intervenir dans les campagnes qu’à titre exceptionnel […], [Elles ne doivent pas] inciter les citoyens à accepter un projet soumis à votation. »14

Malgré cette situation juridique claire – confirmée par la Chancellerie fédérale – le Conseil fédéral intervient de façon réitérée et massive dans les campagnes de votations et tente, au moyen d’une propagande unilatérale, d’inciter les citoyens à adopter les projets qui leur sont proposés. Par exemple, en février 2008 :

« Le 2 février, le ministre de la défense Samuel Schmid a plaidé pendant  cinq  minutes  à  19h25  au  téléjournal  de SF2 contre l’initiative contre le bruit des avions de combat. Le 5 février,  il a fait de même peu après 12h00 à   la radio romande (RSR I). Le même jour, Doris Leuthard, ministre de l’économie, a  plaidé,  sur  la  radio  DRS  1,  pour la réforme fiscale. […] Il en va ainsi presque sans interruption depuis le début février ; le Conseiller fédéral socialiste Leuenberger à la radio DRS contre l’initia- tive contre le bruit des avions de combat, le Conseiller fédéral radical Merz à la radio tessinoise pour sa réforme fiscale […]. Propagande d’État  gratuite.  Mais  il  ne saurait être question ‹d’information complète› dans les interventions des conseillers fédéraux. […] Ce sont simplement cinq minutes de propagande unilatérale et sans  contradiction.  »15

Si des autorités communales ou cantonales manipulaient les citoyens de la sorte, on pourrait déposer des recours en matière de votation. Mais ce n’est pas possible au niveau fédéral. Il n’y a pas d’instance judiciaire auprès de laquelle il soit possible de recourir contre une infraction de la Confédération à la liberté de vote.

L’exemple  de Laufon

L’exemple de Laufon montre que les recours devant le Tribunal fédéral en matière de votation ont des chances de succès. A l’époque, les habitants de Laufon devaient dire s’ils étaient d’accord de quitter le Canton de Berne et de rejoindre le Canton de Bâle-Campagne.

Le gouvernement bernois voulait absolument garder le district de Laufon. Il a secrètement détourné des fonds et mandaté une agence de publicité pour faire de la propagande probernoise cachée. Les Laufonnais ont alors voté pour Berne.

Mais la manipulation de cette votation a été révélée   par  la  suite.  Lorsque  les  Laufonnais  l’ont  apprise,  ils   se sont indignés et certains d’entre eux ont déposé un recours en matière de votation. Après une enquête approfondie, le Tribunal fédéral a constaté que la campagne du gouvernement bernois avait enfreint la loi et l’a  blâmé.

« Un tel comportement d’une autorité […] est indéfendable. »16 Le Tribunal fédéral a ordonné que la votation ait lieu à nouveau. La seconde fois, les Laufonnais – sans être influencés – ont voté pour Bâle-Campagne. Le taux de participation a atteint le record de 93,6 % ! Aujourd’hui, Laufon fait partie de Bâle-Campagne.

Cet exemple nous donne plusieurs leçons. Il montre clairement que les autorités ont toujours tendance à étendre leurs prérogatives sans y être autorisées. Les barrières prévues par la Constitution fédérale et les lois sont vitales pour la démocratie ; elles doivent donc être maintenues. L’exemple laufonnais montre que les campagnes de vota- tion menées avec des techniques de relations publiques sont tout à fait en mesure d’orienter un vote dans une certaine direction. Et la participation record lors de la deuxième votation montre clairement que la population n’aime pas que l’on cherche à la berner. Des campagnes d’influence telles que celles du gouvernement bernois dans le district de Laufon ne sont pas appréciées. Elles  sont en contradiction avec la démocratie  directe.

Le porte-parole du Conseil fédéral avoue la manipulation

Le Conseil fédéral et son administration ont influencé des votations de façon inadmissible et répétée. Même Achille Casanova, ancien porte-parole du Conseil fédéral et vice-chancelier de la Confédération, le reconnaît aujourd’hui :

« Les techniques de ‹spin doctoring› [techniques manipulatrices]  ne  sont  pas  admises  dans  la   politique de communication officielle ; néanmoins des chargés de communication des départements fédéraux les utilisent. »17

 Casanova ne dévoile toutefois pas que c’était lui-même, dans   sa   position   influente   de   chef   du Service médias et porte-parole du Conseil fédéral, qui a influencé des votations de façon inadmissible.18 C’est lui qui a utilisé le slogan fatal d’« initiative muselière »19 pour connoter négativement une initiative qui voulait justement endiguer de telles pratiques : manipulation sans pareille !20

Annemarie Huber-Hotz, chancelière de la Confédération, a immédiatement utilisé l’étiquette négative de « muselière » inventée à dessein par M. Casanova ; les médias l’ont immédiatement répandue.21 Cette manipulation a eu pour conséquence que de nombreux citoyens ont cru que l’initiative visait à abolir la brochure fédérale.22 En réalité, elle ne voulait qu’inscrire le droit en vigueur dans la Constitution fédérale.

Les exemples de manipulations cités, ainsi que de nombreux autres qui le seront par la suite, montrent que ce livre est nécessaire. Il dévoile des pratiques manipulatoires, les analyse et propose des contre-mesures.

Judith Barben, extrait  du livre « Les Spin Doctors du Palais fédéral », éd Xénia

PS LHK: Pour des raisons de lourdeur de présentation, les notes n’ont pas été reprises. Elles correspondent à des sources datées et liens web.

A lire également: Spin Doctors ou les poisons de la démocratie. LHK

 

3 réflexions sur “La démocratie directe suisse polluée! Judith Barben

  1. Pingback: L’argent des banques centrales finit dans les paradis fiscaux! – NuitDebout

Laisser un commentaire