La réorganisation du monde confirmée par deux entretiens. Liliane Held-Khawam

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Où allons-nous?

Avant-propos: Je n’ai pu résister à reprendre un entretien de l’ancien premier ministre israélien M S Pérès qui valide tous les travaux du site qui tourne autour de la réorganisation du monde, de l’Etat transnational, de la mondialisation, de la disparition de la démocratie etc.

Cet entretien valide aussi la place centrale de la science dans la vie future de l’humanité.

Un deuxième article, entretien avec M Harari dans la revue Science et Vie complètera le tableau avec une vision très particulière de l’homme du futur et de la place centrale de l’Intelligence artificielle.

M Harari  dit notamment:

« Pour être franc, je pense que dans le futur, les humains vont utiliser la technologie pour se transformer en dieux. Et je le pense de façon littérale, pas métaphorique. Les humains sont sur le point d’acquérir des capacités qui étaient traditionnellement considérées comme des capacités divines. Les humains pourraient bientôt être capables d’imaginer et de créer des êtres vivants à volonté, de surfer sur des réalités imaginaires avec la seule force de l’esprit, d’allonger de façon incroyable leur durée de vie, et de changer leur propre corps et esprit selon leur bon désir. »

Tout cela nous renvoie à ce que certains appellent l’ère post-humaniste définie ainsi par Wikipédia:

« Le post-humanisme est un courant de pensée né à la fin du xxe siècle, qui traite du rapport de l’humain aux technologies (biotechnologies incluses) et du changement radical et inéluctable que cette relation a provoqué ou risque de provoquer dans l’avenir1. Le mot aurait été publié la première fois par Peter Sloterdijken 1999, lors d’un colloque consacré à Heidegger et à la fin de l’humanisme, Sloterdijk postulant « que le développement des technosciences imposait d’envisager un nouveau système de valeurs accompagnant la production d’êtres nouveaux et légitimant le pouvoir de ceux qui bénéficieront des technologies d’augmentation de l’être humain »2. Pour P Sloterdijk le transhumanisme, encore mal défini, serait une transition vers le posthumanisme. Il se veut international, avec une association World Transhumanist Association créée en 1988 puis renommée « Humanity+ ».

Bonne lecture.

Liliane Held-Khawam

Shimon Pérès : «Nous assistons à la transition d’un monde ancien vers un monde nouveau». Philippe Gélie, le Figaro

L’ancien premier ministre et ancien président d’Israël Shimon Pérès

INTERVIEW – Shimon Pérès, 92 ans, ancien premier ministre et ancien président d’Israël, préside  aujourd’hui le Centre Pérès pour la paix.

En gras les question du Figaro, en maigre les réponses de Shimon Pérès

LE FIGARO. – Que vous inspire la situation du Moyen-Orient aujourd’hui?
Shimon Pérès. – J’essaie de regarder le monde avec une perspective plus large. Ce à quoi nous assistons, c’est la transition d’un monde ancien vers un monde nouveau. C’est la fin des territoires et de leur conquête. Nous passons de l’époque des terres et des guerres à un nouvel âge, totalement différent, qui repose sur la science. La science n’est pas quelque chose que l’on doit conquérir par la force. Vous ne pouvez pas l’enlever à quelqu’un, vous n’avez besoin d’affaiblir personne. Le problème est qu’à ce stade, nous ne sommes pas totalement sortis du monde ancien et nous ne sommes pas complètement entrés dans le monde nouveau.

Daech semble en effet plus inspiré par le Moyen-Âge…
Shimon Pérès. La guerre a un but, le terrorisme est une protestation. Les djihadistes disent: «Vous nous avez insultés, on va vous couper la tête.» Ils sont religieux, ils veulent changer le système et ils pensent qu’ils ont un droit à faire valoir. Mais ils n’ont pas de programme, pas de message à part la vengeance.

Le progrès peut-il venir à bout de ces idéologies?
Shimon Pérès. En elle-même, la science est neutre. Vous ne pouvez pas entrer dans le nouveau monde avec des armes, et vous ne pouvez pas sortir de la pauvreté sans la science. On voit bien que cette révolution a déjà changé l’économie mondiale et affecte les systèmes de gouvernement. Les dirigeants ont le pouvoir mais ils n’ont pas le soutien des peuples. Les grandes entreprises internationales n’ont pas besoin des politiques, elles n’ont pas besoin d’armes, elles sont élues tous les matins par leurs clients. Ce sont elles qui possèdent la richesse, 27.000 milliards de dollars de réserves! Cela change le sens de la démocratie. Aujourd’hui, l’égalité des droits, c’est le droit pour chacun d’être différent. Celui qui opte pour la discrimination a perdu.

Aux gouvernements de s’adapter?

Shimon Pérès.«Dans le monde nouveau, on ne peut plus diriger, il faut servir.»

C’est la fin d’un système. Il y a une économie globale mais il n’y a pas de gouvernement global. Dans le monde nouveau, on ne peut plus diriger, il faut servir. Les gouvernements actuels produisent de l’inégalité sociale au lieu de la réduire. Les jeunes générations veulent une meilleure éducation, une vie meilleure, c’est pourquoi elles protestent. On le voit partout, au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe, en Amérique.

Les attentats qui frappent l’Europe montrent que le monde ancien n’a pas disparu…
Shimon Pérès. Si l’on part se battre contre le terrorisme, il revient à notre porte. Ce qu’il faut, c’est se battre contre les raisons du terrorisme: le sentiment d’infériorité, le manque d’éducation, de médicaments, de nourriture, la discrimination des femmes… Lorsqu’une femme n’est pas éduquée, la victime est l’enfant. Et ceux qui ont reçu une éducation doivent pouvoir travailler. Il faut que les entreprises aident les jeunes générations. Au Moyen-Orient, 65 % de la population a moins de 28 ans. Travaillons avec les jeunes!

Pourtant, des milliers de jeunes, y compris chez nous, partent rejoindre Daech…

Shimon Pérès. Combien? 10.000? 20.000? Mais des millions n’y vont pas. Il faut leur donner un autre choix: leur expliquer la religion et parallèlement leur donner les moyens de vivre. Prenez l’Égypte: la population a été multipliée par cinq en cinquante ans, mais le reste n’a pas suivi. Le Nil s’assèche, l’Éthiopie construit un barrage qui inquiète les Égyptiens… Aujourd’hui, la science est capable de multiplier chaque goutte d’eau par cinq ou six. La jeunesse arabe et africaine commence à bouger, nous devons l’aider. Quand on a une approche globale, on n’a plus de frontière et on n’est pas nationaliste.

«Il faut bâtir de nouvelles industries en Afrique et au Moyen-Orient, donner un avenir à ces gens, transformer des zones de danger en nouveaux marchés.»

Ce monde globalisé plonge aussi l’Europe dans une crise migratoire sans précédent…
Shimon Pérès. Il ne suffit pas d’aider les réfugiés à s’installer. Comme pour le terrorisme, il faut s’attaquer aux causes. Il faut bâtir de nouvelles industries en Afrique et au Moyen-Orient, donner un avenir à ces gens, transformer des zones de danger en nouveaux marchés.

Rien dans le monde actuel n’entame votre optimisme?
Shimon Pérès. Les hommes sont toujours pessimistes, mais l’histoire est optimiste. Comparez le monde d’aujourd’hui avec celui d’il y a deux siècles. Les optimistes et les pessimistes meurent de la même façon, alors il vaut mieux être heureux. Je préfère le bonheur à l’égalité. Non, je ne suis pas du tout pessimiste. C’est aussi une caractéristique du peuple juif.

La situation d’Israël dans ce Proche-Orient agité ne vous inquiète-t-elle pas?
Shimon Pérès. Nous ne produisons pas de montres, nous parions sur l’éternité! Nous avons fourni au monde un document d’importance, ce sont les Dix Commandements: 172 mots qui constituent la précondition de la civilisation. C’est une révolution qui donne la priorité à la morale. Être le peuple élu n’a pas été un concours de beauté: nous avons été massacrés, exilés, nous avons connu la Shoah. Mais aujourd’hui nous sommes le seul peuple du Moyen-Orient qui parle la langue de ses prophètes. Nous avons 4000 ans en tant que peuple et 68 ans en tant qu’État. Ce nouvel État nous a donné le tempérament de la jeunesse.

Yvoyez-vous une leçon pour les peuples voisins?

Shimon Pérès. «Israël, c’est à 95 % la science et les hommes, à 5 % la terre.»

Nous sommes partis de loin: une terre très petite et très pauvre, ponctuée de marais et de déserts, une rivière, le Jourdain, qui a plus de renommée que d’eau… Nous étions enthousiastes à cause de notre rêve mais démunis dans les faits. Nous avons alors découvert qu’il y avait une ressource disponible dans la nature, le caractère humain. Et, de rien, nous avons fait presque tout. Israël, c’est à 95 % la science et les hommes, à 5 % la terre.

Mais une terre qui reste menacée…
Shimon Pérès. Nous n’avons pas seulement changé le monde, nous avons changé les perspectives pour le monde. Le bénéfice que nous recherchons n’est pas la richesse, c’est la paix et l’innovation. Alors al-Qaida ou Daech ne sont pas le problème. Le problème, c’est la pauvreté, l’ignorance, l’intolérance. C’est cela qu’il faut combattre. Le Moyen-Orient et l’Afrique sont devant ce choix. Le passé ne contient pas le futur, il n’y a pas d’experts pour ce qui ne s’est pas encore produit.

Votre optimisme vaut-il aussi pour l’Europe?

Shimon Pérès. «Pourquoi les Européens n’adoptent-ils pas une langue commune ?»

L’Union européenne est jeune, comparée aux siècles de guerre et de conflits qui l’ont précédée. Il faut prolonger la vision de Jean Monnet. Pourquoi les Européens n’adoptent-ils pas une langue commune, par exemple? À l’ère digitale, vous avez encore des milliers de traducteurs! Je parie que la France sera le premier pays du monde à être entièrement digitalisé. La révolution digitale apporte une croissance de 2 % par an, elle a déjà commencé.

À 92 ans, vous ne pensez qu’à l’avenir!
Shimon Pérès. On me demande souvent comment je reste jeune. C’est simple: faites le compte de vos réalisations dans la vie et de vos rêves dans la tête. Si vous avez plus de rêves que de souvenirs, vous êtes jeune.

YUVAL NOAH HARARI, AUTEUR DU LIVRE “SAPIENS, UNE BRÈVE HISTOIRE DE L’HUMANITÉ“, Science et Vie

Docteur en Histoire, diplômé de l’Université d’Oxford, Yuval Noah Harari, 39 ans, enseigne dans le département d’Histoire de l’université hébraïque de Jérusalem. 65 000 personnes sont abonnées à son cours en ligne Une brève histoire de l’humanité. En 2012, il a reçu le prix Polonsky qui récompense la créativité et l’originalité des ouvrages de Sciences Humaines. Ses recherches actuelles abordent des questions d’histoire très générales sur les relations entre l’histoire et la biologie, la différence entre l’Homo sapiens et les autres animaux ou encore notre rapport au bonheur.

>> DÉCOUVREZ SON INTERVIEW.

1/ COMMENT VOUS EST VENUE CETTE ENVIE D’ÉCRIRE SUR UN SUJET AUSSI AMBITIEUX QUE L’HISTOIRE DE L’HUMANITÉ ?

Il me semblait urgent d’accéder à une vision globale de l’humanité, car l’espèce humaine est sur le point de prendre les décisions les plus lourdes de conséquences depuis sa création, et de redéfinir la trajectoire et le sens même de la vie. Depuis l’apparition de la vie sur terre, il y a quatre milliards d’années, la vie a été gouvernée par les lois de la sélection naturelle. Durant toutes ces ères, que vous soyez un virus ou un dinosaure, vous évoluez selon les principes de la sélection naturelle. Désormais, la science humaine pourrait remplacer la sélection naturelle avec un dessein intelligent, et pourrait commencer à créer des formes de vie non organiques. Le problème est que le dessein intelligent de l’homme, est guidé par les forces aveugles du marché, et des modes éphémères. Nous détruisons une grande part de notre planète dans une orgie de consommation effrénée. J’espère que comprendre qui nous sommes, d’où nous venons, et comment nous avons acquis une telle puissance, va nous aider à prendre des décisions plus sages pour notre vie future.

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2/ VOTRE FAÇON DE NOUS RACONTER CETTE LONGUE ÉVOLUTION EN MÊLANT HISTOIRE, BIOLOGIE, PHILOSOPHIE ET ÉCONOMIE, PASSIONNE LES LECTEURS DU MONDE ENTIER. MARK ZUCKERBERG LUI-MÊME, LE FONDATEUR DE FACEBOOK, A DÉCLARÉ VOTRE LIVRE “LIVRE DE L’ANNÉE 2015”. COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS UN TEL ENGOUEMENT ?

Je pense que le livre a reçu un accueil positif car il répond à un véritable besoin. Nous vivons dans un monde global, mais les écoles et les livres ne nous racontent toujours que des histoires de “paroisse” sur un pays, ou sur une culture particulière. La réalité est qu’il n’y a plus un seul pays indépendant dans le monde. Notre planète est toujours divisée en 200 pays différents, mais ils dépendent tous de forces économiques, politiques et culturelles qui sont, elles, globales. Les principaux problèmes auxquels nous faisons face sont également globaux par nature. Que se passera-t-il quand le réchauffement global créera des changements climatiques radicaux ? Que se passera-t-il quand les ordinateurs remplaceront les humains sur le marché du travail, et que la plupart des humains deviendront inutiles économiquement parlant ? Que se passera-t-il quand les découvertes en biotechnologies vont rendre possible l’amélioration des humains, créant des fractures immenses entre les riches et les pauvres ? Ce sont des questions auxquelles tous les humains doivent répondre, et aucun pays ne peut les résoudre en étant isolé. Je pense que “Sapiens” a été si bien reçu parce qu’il raconte l’histoire de l’humanité dans son ensemble, et qu’il le fait dans une perspective globale, plutôt que locale.

3/ VOS ANALYSES SONT PERTINENTES ET NOVATRICES. PAR EXEMPLE, VOUS EXPLIQUEZ QUE LES FEMMES SONT AUSSI FORTES QUE L’HOMME, ET “QU’ELLES SONT GÉNÉRALEMENT PLUS RÉSISTANTES À LA FAIM, À LA MALADIE ET À LA FATIGUE.” LE FÉMINISME A-T-IL TOUJOURS RAISON D’ÊTRE EN 2015 ?

Le féminisme a été l’une des révolutions les plus importantes du siècle dernier. Elle a défié et renversé avec succès des structures sociales soi-disant “naturelles” qui avaient perduré durant des milliers d’années, et avaient survécu à d’innombrables autres révolutions. Le succès relatif du féminisme devrait également nous faire repenser notre histoire. Comment les hommes ont-ils réussi à dominer la plupart des sociétés humaines du passé ?
La théorie la plus commune, suggère que les hommes sont plus forts physiquement que les femmes, et qu’ils ont usé de leur force physique supérieure pour forcer les femmes à se soumettre. Un argument plus subtil, explique que leur force a permis aux hommes de monopoliser les tâches économiques qui demandent un effort physique, tel que labourer ou récolter. Cela leur a donné le contrôle de la production de nourriture, ce qui s’est traduit en pouvoir politique.
Le problème principal de cette théorie est qu’il n’y a pas de corrélation entre force physique et pouvoir social dans les sociétés humaines. Les personnes de soixante ans dominent généralement les personnes de vingt ans, alors que les jeunes adultes sont bien plus forts physiquement que leurs aînés. Pensez aussi à la hiérarchie dans l’église catholique. Comment devenez-vous pape ? Pas en battant les autres cardinaux aux poings. Même dans le crime organisé, le chef suprême n’est pas nécessairement le plus fort. Il est souvent un homme plus âgé, qui use rarement ses propres poings. Il s’arrange pour laisser le sale boulot aux plus jeunes et plus solides. Un type qui pense que le moyen de devenir le chef est de battre celui en place, a peu de chances de vivre assez longtemps pour apprendre de ses erreurs. Même parmi les chimpanzés, le mâle Alpha conquiert sa position en établissant une coalition avec les autres mâles et femelles, et non par violence pure. Parmi les bonobos, les femelles dominent les mâles, car elles communiquent mieux entre elles.
En réalité, l’histoire humaine démontre qu’il y a souvent une relation inverse entre la force physique et le pouvoir social. Dans la plupart des sociétés, ce sont les classes laborieuses qui se chargent du travail manuel. Pour réussir en politique, vous n’avez pas besoin d’une force physique supérieure. Vous devez construire des alliances solides, et pour cela, vous avez besoin de talents sociaux. Vous devez apaiser les gens – pour les attirer de votre côté- et par-dessus tout, vous devez comprendre ce qui se passe dans l’esprit des autres (en particulier vos ennemis).
Il est souvent expliqué que les hommes ont moins de talent social que les femmes, et qu’en particulier, les hommes ont moins la capacité d’appréhender et de comprendre les besoins, désirs et points de vue des autres. Comment se fait-il que dans notre société, dont le succès dépend avant tout de la capacité à établir une collaboration sociale, ce sont les individus les moins aptes à la coopération et ayant les moindres qualités sociales (les hommes), qui contrôlent ceux qui sont a priori plus doués dans ces domaines (les femmes) ? Aujourd’hui, nous n’avons pas de réponse définitive. Cela reste l’un des mystères de l’histoire.

4/ VOUS SOULEVEZ LA QUESTION DU BONHEUR, EN VOUS DEMANDANT SI NOUS SOMMES PLUS HEUREUX À NOTRE ÉPOQUE, QUE NOS COUSINS LES CHASSEURS-CUEILLEURS. PENSEZ-VOUS QUE LE SAPIENS DE 2015 SOIT CAPABLE D’ÊTRE HEUREUX ?

Bien que les humains soient particulièrement doués pour acquérir le pouvoir, ils ne semblent pas très bons pour le transformer en bonheur. De ce fait, en 2015, nous sommes bien plus puissants qu’auparavant, et notre vie est certainement bien plus confortable que par le passé. Il est pourtant discutable que nous soyons bien plus heureux que nos ancêtres. En comparaison de ce qu’ont rêvé la plupart des gens dans l’histoire, nous vivons au paradis. Mais pour une raison inconnue, nous n’en avons pas l’impression.
Une explication, est que le bonheur dépend moins de conditions objectives que de nos propres attentes. Les attentes, cependant, ont tendance à s’adapter aux conditions. Quand les choses s’améliorent, nos attentes enflent en proportion, et ainsi, même les améliorations substantielles de nos conditions de vie nous laissent aussi insatisfaits qu’avant.
Une autre explication, est que nos attentes et notre bonheur sont tous deux déterminés pas notre système biochimique interne. Et notre système biochimique interne, n’a pas vraiment d’intérêt au bonheur. Il a été formé par l’évolution, de façon à augmenter nos chances de survivre et de nous reproduire, et l’évolution a fait en sorte que, quoi que nous achevions, nous restions éternellement insatisfaits, perpétuellement à la recherche de plus.
Au niveau le plus fondamental, notre réaction instinctive au plaisir n’est pas la satisfaction, mais la recherche de plus de plaisir. Ainsi, peu importe ce que nous achevons, cela n’augmente que notre appétit pour plus, pas notre satisfaction. Ceci explique pourquoi l’humanité a eu autant de succès pour conquérir le monde, et acquérir une puissance immense, mais n’a pas réussi à changer tout ce pouvoir en bonheur.

5/ A LA FIN DE VOTRE LIVRE, VOUS ABORDEZ L’ÉVOLUTION DE LA SÉLECTION NATURELLE, ET SA FIN TOUTE PROCHE, CAUSÉE PAR LES RECHERCHES MENÉES PAR LES LABORATOIRES DU MONDE ENTIER. COMMENT IMAGINEZ-VOUS NOTRE FUTUR ?

Pour être franc, je pense que dans le futur, les humains vont utiliser la technologie pour se transformer en dieux. Et je le pense de façon littérale, pas métaphorique. Les humains sont sur le point d’acquérir des capacités qui étaient traditionnellement considérées comme des capacités divines. Les humains pourraient bientôt être capables d’imaginer et de créer des êtres vivants à volonté, de surfer sur des réalités imaginaires avec la seule force de l’esprit, d’allonger de façon incroyable leur durée de vie, et de changer leur propre corps et esprit selon leur bon désir.
A travers l’histoire, il y a eu énormément de révolutions économiques, sociales et politiques. Mais une chose est restée constante : la notion même d’humanité. Nous avons toujours le même corps et le même esprit que nos ancêtres de la Rome ou de l’Egypte antique. Et pourtant, dans les décennies à venir, pour la première fois dans l’histoire, le concept d’humanité va subir une révolution radicale. Au-delà de notre société et de notre économie, nos corps et nos esprits vont être transformés par la génétique, la nanotechnologie, et les interfaces cerveau-ordinateur. Corps et Esprits seront les produits principaux de l’économie du XXIe siècle.
Quand nous pensons au futur, nous nous représentons généralement un monde dans lequel des individus qui nous sont identiques dans tous les aspects importants, profitent d’une technologie améliorée : pistolets laser, robots intelligents, et vaisseaux spatiaux naviguant à la vitesse de la lumière. Pourtant, le potentiel révolutionnaire des technologies du futur est de transformer Homo Sapiens lui-même, y compris notre corps et notre esprit, et non plus seulement nos véhicules et nos armes. La chose la plus fascinante du futur ne sera pas les vaisseaux spatiaux, mais les êtres qui les piloteront.
Prenons la mort comme exemple principal. A travers l’histoire, la mort était considérée comme un phénomène métaphysique. Nous mourons parce que Dieu en a décidé, ou le Cosmos, ou mère Nature. Logiquement, on croyait que la mort ne pouvait être défaite que par une sorte de grand événement métaphysique, tel que le retour du Christ. Récemment, nous avons commencé à redéfinir la mort comme étant un problème technique. Un problème très compliqué, sans aucun doute, mais essentiellement un problème technique. Et la science est convaincue que tout problème technique appelle une solution technique. Nous n’avons pas à attendre Dieu, Jésus Christ ou le Messie Juif pour vaincre la mort. Quelques geeks dans un laboratoire pourraient bien le faire. Si traditionnellement, la mort était l’apanage des prêtres et des théologiens, les ingénieurs sont en train de prendre le relai. Il y a deux ans, Google a fondé une société appelée Calico, dont l’objectif est de résoudre le problème de la mort. Cela va se traduire par des opportunités énormes, ainsi que des dangers terribles. Il n’y a aucune raison d’être optimiste ou pessimiste à ce sujet, nous devons être réalistes. Nous devons comprendre ce qui se passe vraiment –c’est de la science, et non plus de la science-fiction- et il est plus que temps de commencer à penser à ce sujet de manière très sérieuse. En comparaison, la plupart des problèmes qui inquiètent les gouvernements et les citoyens sont insignifiants. La crise économique globale, l’état islamique, la situation en Ukraine… sont tous des problèmes importants bien-sûr, mais ils sont complètement accessoires comparés à la question de l’amélioration humaine.

6/ IL Y A EU UN REGAIN D’INTÉRÊT POUR L’ÉVOLUTION DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE RÉCEMMENT, AVEC NOTAMMENT L’ENGAGEMENT DE STEPHEN HAWKING, BILL GATES ET ELON MUSK, DANS UNE FONDATION DESTINÉE À PRÉSERVER UNE ÉTHIQUE PAR RAPPORT AUX DÉBORDEMENTS QUE POURRAIT ENGENDRER UN TEL PROGRÈS. PARTAGEZ-VOUS LEUR OPINION ?

La montée de l’intelligence artificielle est un développement extrêmement important, et extrêmement préoccupant. Le danger est que l’IA va rendre la plupart des humains inutiles. Les algorithmes digitaux sont en train de rattraper les humains dans de plus en plus de domaines cognitifs. Il est peu probable que les ordinateurs développeront quoi que ce soit, proche de la conscience humaine, mais pour remplacer les humains dans l’économie, les ordinateurs n’ont pas besoin de conscience. Ils ont juste besoin d’intelligence. Au cours de l’histoire, l’intelligence est toujours allée de pair avec la conscience. Les seules entités intelligentes étaient des entités conscientes. Les seuls qui pouvaient jouer aux échecs, conduire des véhicules, combattre des guerres et diagnostiquer des maladies, étaient des êtres humains conscients. Mais l’intelligence est en train de se séparer de la conscience. Nous développons des algorithmes non-conscients qui peuvent jouer aux échecs, conduire des véhicules, combattre des guerres et diagnostiquer des maladies mieux que nous. Lorsque l’économie aura à choisir entre l’intelligence et la conscience, l’économie choisira l’intelligence. Elle n’a pas vraiment besoin de la conscience. Une fois que les voitures sans chauffeur et les robots-docteurs seront plus performants que les conducteurs et docteurs humains, des millions de conducteurs et de docteurs, de par le monde, perdront leur travail, bien que les voitures sans chauffeur ou les robots-docteurs n’aient pas de conscience.

Quelle sera l’utilité des humains dans un tel monde ? Que ferons-nous de milliards d’humain sans valeur économique ?

Nous ne savons pas. Nous n’avons pas de modèle économique pour une telle situation. Ce pourrait bien être la plus grande question économique et politique du XXIème siècle.

14 réflexions sur “La réorganisation du monde confirmée par deux entretiens. Liliane Held-Khawam

  1. Pingback: A lire chez LHK , la réorganisation du monde – brunobertez

  2. A regarder de plus près, cette évolution de l’humanité est le prolongement de ce que nous connaissons déjà. La maîtrise du feu a certainement été la plus grande avancée de l’humanité car la plus décisive des impulsions hors du monde purement animal.
    La lance et l’arc ont donné un avantage sélectif à ceux qui les ont inventé et amélioré. L’énergie, les armes puis l’habitat, l’élevage, l’agriculture, la mutualisation,.. le principal était acquis 10 000 ans avant JC.
    Mais la conscience n’a pas suivi les progrès technologiques.
    De part sa faible constitution, l’homme est un animal inquiet, foncièrement paranoïaque, soumis à ses pulsions primaires. Le meurtre et le viol sont toujours abondamment pratiqué sous des prétextes divers, de la religion à la morale, et même sans aucun prétexte juste pour la satisfaction immédiate.
    Le problème n’est donc pas l’évolution technologique mais ce que l’homme, cette brute sanguinaire et paranoïaque va en faire.
    Des drones tueurs parcourent déjà les cieux du Moyen-Orient au Pakistan. C’est une réalité.
    La perspective de robots tueurs volants, nageants et rampants dirigés par des cerveaux artificiels aux algorithmes sophistiqués sous contrôle de mégalomane protégé par des systèmes intelligents et efficaces ne me paraissent pas de bon augure pour le bonheur de l’humanité.
    Il n’y a qu’à voir comment les hommes se comportent quand ils disposent d’un peu de pouvoir ou de tout le pouvoir.
    En général, ils en usent et en abusent jusqu’à devenir fou à moins que c’est parce qu’ils sont fous, qu’ils conquièrent le pouvoir.
    L’optimisme pourra cependant régner grâce aux pilules du bonheur fournies par les nouveaux dieux au peuple ahuri collé à ses écrans, en même temps que la manne.
    Quant à la mort, elle est si nécessaire à la vie qu’elle en est indissociable. Vaincre la mort, c’est vaincre la vie.

  3. J’aime beaucoup ce que vous avez écrit. Je suis pour ma part résolument optimiste. Je suis sûre que la Vie vaincra. C’est fatal!

  4. « La vie vaincra. C’est fatal » ? Ce paradoxe est amusant. Je suppose qu’il est volontaire.

  5. D’après le contenu de ces deux entretiens, le « progrès », un bandeau sur les yeux, en viendrait enfin à palper le relief du monde visible et invisible, de même, « commander » notre psyché et autant de domaines pourtant explorés et décrits (et c’était sans preuves!) par les plus anciennes pensées métaphysiques dont le Christianisme serait le corollaire.

    En effet, la conclusion (de Harari) touche du doigt l’état très exact qui taraude en continu les humains depuis la nuit des temps : «  » Ceci explique pourquoi l’humanité a eu autant de succès pour conquérir le monde et acquérir une puissance immense, mais n’a pas réussi à changer tout ce pouvoir en bonheur » ». Tout serait dit ? En effet, si l’intelligence doit « surpasser » cet état qu’on nomme : « conscience », ce serait que l’intelligence, dans la proportion de ses « progrès » continuerait ainsi sans s’en rendre compte (jamais?) jusqu’à devenir aveugle et sourde en même temps ? Et même, n’aurait plus de psychisme ? Jusqu’à plus ample informé ou mauvaise interprétation de ma part, l’intelligence, dans ce qui est relaté dans ces deux entretiens, reste dans le domaine strictement matériel quels que soient ses superprodiges (attention : bien compris qu’il s’y trouve un versant matériel très positif et fécond). Ainsi, l’intelligence, au final(?), ne fonctionnerait plus que pour elle-même et quelles qu’en soient les conséquences ? La cerise sur le gâteau (cerise et gâteau pour qui ?) fait que la dite intelligence ne s’en rendrait même plus compte ?… La « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait il y pas mal de siècles Rabelais je crois, lequel n’est sans doute pourtant pas la référence la plus pointue en la matière….. ».

    Logiquement, on comprend facilement, sur le plan physique, qu’une simple pelle mécanique fait aisément le même travail en une demie journée que feraient 10 terrassiers travaillant à la main avec des pioches et des pelles en une semaine. Si des robots (ordinateurs de la X° génération) battent des champion mondiaux du jeu d’échec et tous les exemples comparables, on peut le comprendre aussi. Les hommes inventent des instruments qui les surpassent sans doute dans presque tous les domaines. Dans le même sens que le dit un intervenant ci-dessus, Daniel Roux, il y a, dans ces deux entretiens la prolongation asymptotique de la même problématique de la délicate et décisive relation homme-machine. Il ne faut pas que les machines deviennent des prothèses physiques et mentales qui étioleraient des corps (et des esprits) réputés sains, autodéfensifs et créatifs, tout en réservant à la machine l’essentiel des corvées stériles en elles-mêmes.
    Bien sûr, par rapport aux éléments actuels de la vie sous toutes ses formes, il faudra (c’est déjà une urgence absolue) que soit disponible la quantité de monnaie nécessaire à l’achat des biens (à plus forte raison les biens et les services de base) une quantité de monnaie qui soit —égale— aux prix de vente des biens et des services. Peu de production=peu de monnaie, production moyenne=même niveau de monnaie, production abondante=monnaie abondante, production automatique=monnaie automatique. C’est la production, les capacités de production qui priment. En même temps, la -rigidité- et l’-égalité- monétaire correspondantes aux prix de vente doit être incontournable. Ou encore, tout système d’échange qui mettrait dans les mains de ceux qui en ont besoin les produits nécessaires. Hélas, on en est très loin! Ainsi, crises, révolutions et guerres ponctuent la vie des humains… Car rien que les gens chassés de leur emploi par l’automatisation n’ont plus les revenus qui leur permettaient d’acheter ce qu’ils produisaient et les seuls à avoir des revenus assurés et en augmentation sont les sempiternels propriétaires des machines… mais tant que ces derniers ont des clients restant solvables. Ce qui est de moins en moins le cas, même avec la mondialisation-délocalisation. À l’heure du grand bond de l’intelligence artificielle, l’on fabrique de plus en plus de pauvres!?…
    Si l’intelligence artificielle n’est pas mise à contribution pour mettre l’abondance des biens produits à la portée de tous et sans superstructures autoritaires et intéressées à la perpétuation de l’injustice, alors, Henri Laborit aura toujours et encore raison, c’est pour élaborer un super nouveau système aux capacités stupéfiantes de dominance…

    Certes, derrière ces deux entretiens, l’on perçoit la marque nette du messianisme judaïque. Force est de constater que la structure mentale qui soutient cette attitude est la sempiternelle attente d’un messie (certains, et non des moindres, disent que ce messie est déjà arrivé, « ce que vous attendez est déjà arrivé » disait en substance Saint Paul aux Grecs) ou encore, faute de messie toujours à venir, un « surpassement décisif » est décrit clairement dans ces deux entretiens, il s’agit de l’autodivinisation des hommes par eux-mêmes (vous serez comme des dieux!) qui, quoiqu’on en dise, resteraient, psychologiquement ou par nature, attachés, consciemment ou non, à la stricte matière…

    Pardon d’avoir été aussi long

  6. Merci Renaud pour ce texte!
    Je pense que ce débat appelle un éclairage théologique.
    Selon la Bible, les hommes ont toujours voulu devenir des dieux. D’où la tour de Babel. Il n’est donc pas étonnant que les leaders d’aujourd’hui reprennent ce symbole dans les constructions (Parlement européen, BRI). M Pérès parle même d’unifier les langues. Le syndrome de la Babel de la Bible. intéressant non?
    Pour le reste, tout leur semble prêt grâce à la prise de pouvoir financier et grâce à ce qu’il considère être indestructible: la technologie.
    D’autres empires en d’autres temps ont eu exactement ce même sentiment de puissance. Je lisais Daniel hier et la vision de la statue immense avec des pieds infiltrés d’argile.
    La technologie d’aujourd’hui a certainement de l’argile à sa base. Je n’en doute même pas. Ce système hégémonique comme tous les autres trouvera à un moment ou un autre son maître qui mettra la tour de Babel à terre.

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