Nationalisons les barrages suisses! Liliane Held-Khawam

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Barrage hydroélectrique d’Alpiq au Tessin

Alpiq affiche des pertes pour 830 millions pour l’année 2015. C’est sur la base de ce résultat que les dirigeants de la holding souhaitent se débarrasser  de la moitié des barrages hydroélectriques qu’ils détiennent, prétextant le peu de rentabilité du domaine.

Des pertes qui résultent de choix comptables et fiscaux délibérés

Il est intéressant avant d’aller plus loin d’étudier la composition de ces 830 millions de perte qui ne résultent pas de l’exploitation des barrages mais de la dépréciation des actifs principalement suisses.

Depuis 2011, Alpiq présente des résultats positifs au niveau du résultat brut d’exploitation (en vert)!

Les pertes sont générées par des amortissements et dépréciations (rouge) principalement en Suisse, par la « part des centrales partenaires et des autres entreprises associées dans le résultat » (violet), puis par des résultats financiers (orange).

Alpiq en chiffres

Pour l’année 2015, le rapport présente sous la rubrique « dépréciations » et « provisions » qui s’élève tout de même à 1,014 milliard de franc les explications suivantes:

« Au cours de l’exercice 2015, il a fallu procéder à des dépréciations et à des provisions, en raison surtout de la suppression du taux plancher de l’Euro et de l’évolution prévue du cours de change EUR/CHF ainsi que des niveaux de prix de gros toujours faibles et d’un environnement réglementaire difficile. Les effets de change et l’évolution attendue des prix de l’électricité et des marges se sont traduits notamment par des dépréciations sur les centrales hydroélectriques suisses.
Des provisions pour des contrats générateurs de pertes ont dû être constituées en complément, principalement pour le futur achat d’énergie auprès d’une centrale hydroélectrique suisse. »

Alpiq

Ce tableau suscite de grandes interrogations! En voici quelques-unes:

  • Quel est l’impact de ces fortes dépréciations répétées sur le prix vente des barrages? La vente de tout Swiss Airlines pour quelques millions n’est pas loin des esprits!
  • C’est tout de même un problème de voir que les plus fortes dépréciations qui concernent la Suisse sont liées au taux-plancher avec l’euro. Comment ce raisonnement peut-il s’appliquer à une production en franc suisse???
  • Comment peut-on provisionner à l’avance pour des achats futurs auprès d’une centrale hydroélectrique suisse??? Savaient-ils qu’ils allaient vendre des barrages?
  • Comment le management d’Alpiq explique-t-il qu’il soit sur les rangs en France pour le rachat de barrages hydroélectriques français?
  • Mais qui décide de ces dépréciations et provisions qui, non seulement plombent les résultats, mais aussi réduisent la valeur des actifs en cas de vente?

Alpiq sur les rangs pour racheter des barrages en France

En résumé, les pertes d’Alpiq sont dues principalement à la dépréciation d’actifs pour cause de perte d’intérêt dans les barrages suisses.

Mais la même équipe dirigeante d’Alpiq qui déprécie gravement ces biens se porte au même moment acquéreuse de barrages français!

Médiapart publiait en novembre 2015 un article sur la privatisation des barrages français et sa conséquence désastreuse pour EDF (actionnaire à hauteur de 25% de Alpiq). Martine Orange y disait ceci:

« En 2012, l’association française indépendante de l’électricité et du gaz (Afieg), regroupant l’allemand E.ON, l’italien Enel, le suédois Vattenfall, le suisse Alpiq, s’est à nouveau manifestée pour réclamer d’avoir sa part dans les concessions hydrauliques. Depuis, certains membres semblent s’être beaucoup activés pour porter le dossier devant la commission européenne. » Force est de constater que le lobbyisme a porté ses fruits puisque le gouvernement français a reçu une mise en demeure allant dans ce sens.

La journaliste poursuit: »Reste un problème, cependant, qu’il va bien falloir justifier tant au niveau européen qu’au niveau français. Comment expliquer que la France soit la seule à ouvrir ses barrages hydrauliques à la concurrence, alors que tous les autres États européens en conservent un contrôle étroit ? L’Allemagne a exclu ses barrages de la concurrence. Les concessions sont octroyées par les Länder pour une durée de 40 à 80 ans. Et la commune dispose d’un droit de veto sur tout nouvel exploitant. La Suède, dont un des opérateurs lorgne les barrages français, a mis ses barrages sous le régime de l’autorisation publique. En Norvège, les exploitations hydrauliques sont obligatoirement accordées à une structure publique pour une durée illimitée. En Autriche, les concessions sont accordées pour une durée de 60 à 80 ans. En Italie, les concessions attribuées à l’Enel, l’électricien historique, sont toutes maintenues au moins jusqu’en 2029. La Suisse, candidate aussi pour reprendre des barrages en France, ne relève pas du droit européen.

« Vos rapporteurs ont été soumis à la pression insistante d’opérateurs étrangers qui souhaitent pénétrer le marché français sans être menacés sur leur propre marché. Lorsque nous les avons interrogés, ils ont été bien en peine de répondre à nos questions sur la réciprocité. Aucun autre État membre n’est amené à mettre en concurrence un parc hydraulique conséquent dans les mêmes conditions que la France », rappelaient Marie-Noëlle Battistel et Éric Straumann dans leur rapport. » (Vu ici)

Pouvoir décisionnel stratégique

Alpiq est une société anonyme et la souveraineté  des décisions revient à ses organes dirigeants. Les propositions stratégiques sont proposées par le conseil d’administration avec l’aide de la Direction générale et soumises à l’Assemblée générale des actionnaires. Au vu de la complexité et de la taille de l’entreprise, ceux-ci doivent se résoudre à faire confiance au management du groupe.

Le Conseil d’administration

13 administrateurs siègent dans le conseil d’administration d’Alpiq.

4/13  sont des représentants allemands, autrichiens et français du groupe EDF. Par conséquent, 31% des sièges sont attribués à 25% des actionnaires. Ce privilège compte lors de votes stratégiques….

Mais ce qui est frappant dans l’analyse des CV des membres du Conseil d’administration est le niveau de compétences des représentants d’EDF par rapport aux représentants suisses. Les 4 EDF présentent des compétences très affûtées spécialement en termes de marché européen et de trading.

Et nous avions relevé dans « la guerre des barrages a bien lieu » que depuis 2013, les administrateurs EDF poussent Alpiq à la vente de ses barrages!

La Direction générale

La  direction générale est composée de 5 membres, avec 3 Allemands dont la CEO! Curieuse, cette tutelle allemande que l’on retrouve actuellement partout en Suisse.

Comment les Suisses peuvent-ils défendre le patrimoine de leur pays avec des étrangers  installés aux commandes?

Le spectre de Swiss dont le pilotage avait été confié tout d’abord à un Néerlandais puis à un Allemand issu de Lufthansa se représente en arrière-plan de ce tableau. Rappelons que l’aventure de Swiss Airlines s’est soldée par des pertes importantes et la vente de la compagnie à sa concurrente allemande pour une bouchée de pain qui n’a pas forcément été payée….

Depuis Swiss Airlines est bénéficiaire et n’a plus de problème avec l’UE. Kloten non plus n’a plus de souci avec son trafic aérien…

Le scénario ici menace d’être ressemblant.

La présidence du Conseil d’administration

Reste la présidence du Conseil d’administration. M Hans Schweickard, président fondateur du groupe semblait déjà en 2013 mal vivre la débâcle financière (Article le Temps).  Celui-ci le décrit comme ayant  les traits tirés, son visage soucieux, voire anxieux lorsqu’il évoque l’incertitude des marchés. Il  reflète sa résignation face à la vente en catastrophe d’une partie de la substance de la société pour réduire l’endettement d’un groupe entraîné dans la spirale de la chute des prix de l’électricité en Europe. Par opposition, M Boder décrit Jasmin Staiblin, directrice (allemande) de la société, entrée en fonction il y a quelques mois, comme rayonnante, et incarnant le renouveau du groupe.

M Hans Schweickard a pris sa retraite il y a juste un an. Il a été remplacé par le Suisse M. Jens Alder. Celui-ci n’est pas un inconnu de la scène de la libéralisation des marchés publiques suisses, des acquisitions à l’étranger et de l’externalisation en Suisse.

M Alder a occupé plusieurs fonctions-clés en Suisse. Il a siégé dans le comité de pilotage qui a créé Swiss Airlines International auprès de M Rainer Gut, grand patron de Credit Suisse et de Nestlé. C’est ce comité de pilotage qui avait nommé le Néerlandais M Bouw – issu de KLM – comme président.

Comité d epilotage de Swiss

M J Alder, a été aussi – selon le CV posté par Alpiq – patron de Swisscom de 1999 à 2006. Fervent adepte du rachat d’entités à l’étranger, le Conseil fédéral lui a opposé un « Niet » en janvier 2006 lorsqu’il a voulu racheter l’irlandais Eircom. Le Conseil fédéral de l’époque avait comparé la stratégie d’acquisition de Swisscom à celle de Swissair, qui s’était soldée comme on le sait par la chute de la compagnie aérienne.

Un autre passif que l’on peut porter à l’entreprise Swisscom des années 99 est le rachat de la société  Débitel en Allemagne pour 4.3 milliards de francs. Cette société a été revendue en 2004 – sous le règne de M Alder – pour la somme de 994 millions de francs au fonds d’investissement Permira…

Enfin, toujours sous le leadership de M Alder, une antenne parabolique hautement stratégique située à Loëche a été vendue par Swisscom à la société américaine Verestar. Le député Bernhard s’inquiétait de cette vente à une société réputée proche de la marine de guerre américaine et de la NSA… Il souhaitait interpeller le préposé à la protection des données. Déjà…

L’importance géostratégique des barrages suisses

En avril 2015, le journal TDG titrait: « Le Rhône, enjeu caché de la visite de Hollande en Suisse ».

Lors de cette visite, la France est apparue hautement dépendante du débit du Rhône pour refroidir l’ensemble de ses centrales nucléaire située dans la vallée du Rhône.

Détenir les clés qui règlent le débit de l’eau pourrait se révéler au moins aussi stratégique pour la France que les intérêts d’EDF pour remplacer la perte de l’exploitation des barrages français.

Ce tableau pris dans son ensemble invite les citoyens à s’emparer au plus vite du dossier Alpiq.

En conclusion

Il faudrait que les barrages soient nationalisés pour sécuriser l’indépendance énergétique mais aussi celle du débit et du coût de l’eau potable, pour éviter qu’ils soient vendus pour une bouchée de pain après toutes ces dépréciations comptables dont l’ampleur reste encore à prouver.

Les pertes affichées sur l’année 2015 semblent avoir une réalité relative. Elles ne correspondent pas toutes à des décaissements effectifs. Elles sont potentiellement discutables car reposant avant tout sur une réalité plutôt comptable et fiscale.

Des pertes sont aussi relevées au niveau du trading et négoce sur le marché mondial. On peut se demander si cette activité est compatible avec la mission de ce groupe.

Dans tous les cas, exigeons au minimum la nationalisation des barrages financés autrefois avec l’argent public et qui ne devraient appartenir ni à Alpiq, ni à EDF.

Nous défendons bien sûr la même ligne au sujet des barrages français qui doivent rester tous sans exception propriété du peuple et non de consortiums financiers privés!

Liliane Held-Khawam

Mise à jour 13 Mars 2016

Céline Fontannaz reçoit Philippe Roch, ancien secrétaire d’Etat à l’environnement.

Intervention de 2 minutes sur la RTS. Du bon sens à l’état pur!

On laisse faire faillite. Cantons et communes rachètent les barrages à bon compte puisque fortement dépréciés au bilan.

Par ailleurs, la problématique sécuritaire aussi bien du nucléaire que des barrages doit être une priorité stratégique des représentants de l’Etat.

Aucune économie  pour des raisons « business » ne peut être tolérer dans ce domaine.

 

 

Egalement en Alemand: http://tsg-referendum.ch/de/alpiq-verstaatlichen-wir-die-schweizerischen-wasserkraftwerke-und-staudaemme/

 

 

 

 

 

 

 

15 réflexions sur “Nationalisons les barrages suisses! Liliane Held-Khawam

  1. Mille bravos Madame, heureusement que nous vous avons, je vous verrai bien remplacer notre capitaine d’industrie au Conseil Fédéraaaal, si vous avez autant d’humour que lui……

  2. Intéressant! On voit comment l’argent (qui ne vaut rien puisque sorti du néant!) corrompt la gouvernance publique!

  3. Cette vente serait de la haute trahison. Je partage votre appréciation. Mais comment mettre en route un mouvement qui soutiendrait cette nationalisation ?

  4. Pingback: Nationalisons les barrages suisses! Liliane Held-Khawam - Les Observateurs

  5. Constituer un collectif de citoyens (association ou autre coopérative) dont le but est de racheter les barrages et d’en faire un bien commun avec interdiction de revendre.
    Trouver une clé de répartition avec les cantons et les communes (pas Berne) pour définir les parts de copropriété des uns et des autres.
    ENsuite, cherchez par exemple le financement via un crowdfunding.

  6. Je vous suis -a priori- dans votre raisonnement du collectif de citoyens. En revanche, si le financement s’opère via le crowdfunding, la logique voudrait que ce soit ce collectif de citoyens -financeurs donc- qui en soit propriétaire. Je ne comprends pas cette notion de répartition communes/cantons, à moins que ceux-ci participent effectivement au financement.

  7. Non on peut avoir un système qui regroupe un groupe de citoyens/cantons/ communes. Bon c’est une idée, il y en a certainement d’autres. Mais il faut veiller à ne rien vendre à des tiers privés qui pourraient imposer leur stratégie « business » alors que ce qui est produit ou fourni par un barrage relève des besoins de première nécessité.

  8. La question essentielle dans ce type de structure est sans doute celle de la gouvernance et des processus permettant d’éviter des abus. Je ne suis pas certaine qu’il faille nécessairement diaboliser le privé et privilégier par défaut les structures publiques. Quoi qu’il en soit, le statut de coopérative permettrait d’éviter de faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre, et d’éviter des dérives. Je ne sais pas en revanche si ce statut permet d’être suffisamment réactif dans un marché libéralisé.

  9. Je crois qu’il faudrait différencier 2 choses: La propriété des ouvrages (barrages, centrales nucléaires) et l’exploitation de ces biens. Des biens aussi stratégiques avec des conséquences immédiates au niveau sécuritaire, indépendance énergétique, gestion de l’eau potable (risque d’exportation) etc. doivent rester un bien commun ( canton, commune, association de citoyens etc.). La responsabilité de l’exploitation des ouvrages peut être discutée et confiée au secteur privé.

  10. TOUCHE PAS A MES BARRAGES!!! Il faudrait qu’on m’explique… on a 800 milliards en fonds de pension en Suisse dont on ne sait plus que faire pour obtenir autre chose que des intérêts négatifs… Alors qu’il ne faut que 2 petits milliards pour racheter les 49% d’actions à Alpiq… Et ils veulent brader notre patrimoine… Franchement, ils font quoi à Berne???
    Je propose de lancer une initiative populaire visant à modifier la Loi sur les fonds de pension en exigeant que 10% de ces fonds soient investis dans la transition énergétique et le rachat de nos barrages, qui sont nos piles de stockage de nos futures énergies renouvelables.
    Et on pourrait même imaginer redistribuer un dividende aux retraités sous la forme de kw/h gratuits…

  11. Très cohérent Martial. Il faut trouver des élus pour mettre en musique! Certaine qu’il y en a quelques-uns!

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