Les banquiers centraux enfantent les concurrents des Etats: l’exemple de Apple, par Liliane Held-Khawam

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Apple. Première capitalisation boursière du monde avec 1000 milliards de dollars et 194 Milliards de dollars de cash! Cette entreprise transnationale bat tous les records de prospérité. Pour elle, la promesse d’enrichissement due à la globalisation est devenue réalité …

Mais arriver à accumuler autant de monnaie aurait été IMPOSSIBLE sans l’apport magique et illimité de liquidités déversées par la politique monétaire non conventionnelle des banquiers centraux pilotés par la Réserve fédérale et ses fidèles lieutenants (BCE; BNS, Banque du Canada et banque du Japon). Cette politique qui porte le nom d’assouplissement quantitatif a consisté à racheter des titres publiques et privés aux banques commerciales au prix fort en échange de liquidités mises à disposition sur leurs comptes à vue. Ces liquidités sont autant des dettes mises directement ou indirectement sur le compte du public.

En parallèle, le public a été sollicité à travers une loi intitulée too big to fail qui garantit aux grandes banques un filet financier de sécurité en quantité illimitée, en tout temps et tout lieu. Cerise sur le gâteau, selon les pays, les responsables incriminés bénéficient d’immunité….

La nature des actifs de ces programmes d’assouplissement quantitatif varient des dettes publiques aux actions des grandes entreprises transnationales AAA. Nous avons découvert récemment la débauche d’argent -1.1 milliard de dollars- que la BNS a consacré aux actions Apple.

C’est seulement ainsi que l’on peut appréhender la flambée des bourses de ces dernières années dont la valorisation n’a plus rien à voir avec une réalité économique quelconque…

C’est dans ce contexte de pléthore d’argent pour les uns et d’austérité pour les autres que le cas d’Apple pourrait être appréhendé. Elle n’est là qu’à titre d’exemple. On aurait pu prendre n’importe quelle autre entreprise transnationale chouchoutée par les banquiers centraux.

Evolution du titre d’Apple

Le graphique de l’évolution de la valeur de l’action de Apple présente des paliers de croissance brusques. Or, ceux-ci semblent correspondre à l’arrivée des assouplissements quantitatifs successifs générés par les banques centrales. Le premier date de 2008.Or, rien que pour la crise  de 2008, Forbes rapportait en 2011 que 16 trillons de dollars auraient été alloués par la Réserve fédérale sous forme d' »assistance financière » à des entreprises et banques dans le cadre du programme de sauvetage.

On observe ensuite une accélération du mouvement de la flambée de l’action d’Apple en 2012. Elle semble faire suite à la prise de décisions en septembre 2011 par les 5 grandes banques centrales d’intervenir de manière illimitée auprès des de toute institution financière qui les solliciterait… Les banques européennes étaient alors en pleine crise de liquidités. Elles en sont ressorties requinquées et débordantes de cash .

Bref, on peut supposer que les assouplissements quantitatifs ont boosté les marchés qui à leur tour ont fabriqué des mammouths financiers qui  supporteront probablement de moins en moins la contradiction d’Etats appauvris, soumis à des cures d’austérité et contestés de l’intérieur.

Graphique:Valeur boursière de Apple sur 10 ans

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Source

Pléthore de cash

Un histogramme produit par Above Avalon nous montre l’évolution des disponibilités du cash d’une entreprise comme Apple.

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Le cash disponible suit le mouvement exponentiel de l’évolution de la valeur de l’action et de la capitalisation boursière…. A l’heure de l’austérité et du feu roulant qui bombarde la Grèce, on ne peut qu’être surpris par cette politique monétaire des banquiers centraux dont la mission officielle est de servir les pays…

Les assouplissements quantitatifs ne suffisent pourtant pas à expliquer ce disponible en cash. Là intervient la gestion d’entreprise qui vise à maximiser les recettes et à diminuer les dépenses.

La globalisation des marchés a visé avant tout cette maximisation des marges par la maximisation du chiffre d’affaires. Or, dans le cas de Apple, il apparaît que la part réalisée aux Etats-Unis est de plus en plus restreinte et celui de la Chine par exemple gigantesque. En même temps, il est normal que le chiffre d’affaires d’une entreprise globalisée relativise toujours plus celui de son pays d’origine.

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On peut maximiser son chiffre d’affaires et faire des pertes. Apple n’a manifestement pas ce genre de souci. Mais pour atteindre des disponibilités pareilles de cash, il faut maîtriser sévèrement  2 rubriques fondamentales de coûts: la masse salariale et la fiscalité.

  • Réduire la masse salariale:

Apple mais aussi certaines de ses collègues de la Silicon valley (schéma ci-dessous) ont fait récemment l’objet d’une class action pour entente illicite sur le recrutement de collaborateurs. Le fait de s’interdire de recruter les collaborateurs des uns par les autres réduit drastiquement le marché de l’emploi et bien évidemment les possibilités de promotion et de surenchère salariale. La justice a donné raison aux collaborateurs et sanctionné Apple et google (plus de 400 millions de pénalité).

Diagramme du pacte anticoncurrence:

Pacte anticoncurrence

Ailleurs, des entreprises de smartphones ont été épinglées dans des scandales de travail d’enfants. Le site http://www.phonandroid.com s’est basé sur le reportage Cash Investigation, diffusé sur France 2 pour constituer en novembre 2014 un dossier intitulé: »Le vrai coût de fabrication de nos smartphones : pollution, esclavage, conflits armés [Dossier] ». En voici un extrait:

« Au-delà du fait que les employés doivent avoir une productivité qu’on imagine à peine exécutable, que ces derniers soient numérotés au sens le plus littéral du terme, que les méthodes managériales consistent notamment à leur faire afficher aux murs de l’usine des lettres dans lesquels ils s’excusent pour leurs fautes, au-delà du fait que ces employés vivent dans des dortoirs déplorables, enfin, au moins la moitié d’entre eux sont des enfants.

Employer des enfants plutôt que des adultes offre quelques avantages non négligeables. Cela permet en premier lieu d’avoir une main d’oeuvre à bon prix, dans des pays où cette dernière n’est déjà pas onéreuse à la base. De plus, les enfants sont plus faciles à contrôler.

Ainsi, ce sont des personnes ayant parfois moins de 13 ans que l’on découvre, travaillent 13 heures par jours, avec un jour de congé toutes les deux semaines et deux jours fériés par ans, pour un salaire de 160 euros par mois. Peu d’entreprises échappent au scandale, et Huawei en a fait les frais lors d’une interview musclée de la journaliste de Cash Investigation.

Ce simple fait à lui seul devrait suffire à condamner l’industrie tout entière, assez désolant pour que nos comportements en tant que consommateurs puissent changer, pourtant, il ne s’agit pas du seul secret que renferment nos smartphones. »

A ce tarif, on peut supposer que la masse salariale est des plus compétitives. Si on ajoute à ce qui précède l’arrivée de plus en plus visible des robots… Sans intervention extérieure, la masse salariale de cette catégorie de transnationales est vouée à se réduire de manière toujours plus drastique.
  • Réduire les impôts

Ces firmes transnationales ne veulent pas payer d’impôts. Elles profitent de tout ce que l’on appelle optimisation fiscale pour éviter au maximum cette contrainte. Luxleaks a révélé comment ces firmes s’y prenaient.

Or, l’article de Above Avalon montre comment la partie rouge de l’histogramme ci-dessus correspond à du cash détenu offshore par rapport à la bleue qui est  celui existant à l’intérieur des Etats-Unis.

Or, Si Apple voulait rapatrier son cash aux Etats-Unis, elle serait obligée de passer par la case fiscale américaine. Elle se retrouve donc avec des montagnes de cash avec lesquelles elle ne peut financer son programme de rachat  d’actions et dividendes qui ne peut se faire que sur sol américain, son lieu de domiciliation… Pendant que le lobby s’active, le dilemme de l’emploi de son trésor reste entier.

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On lit sur ce graphique que le programme de rachats d’actions et de dividendes ne peut se faire « que » avec le cash américain et les dettes. Or, ce mot dettes nous rappelle une magnifique prise de décisions des banquiers centraux de poser un taux négatif sur les avoirs bancaires. Une entreprise comme Apple largement cotée AAA va pouvoir s’endetter à taux négatif, c’est-à dire qu’elle reçoit simultanément le prêt ET le « coût » des intérêts.Pendant ce temps, nos caisses de pensions/retraites/assurances-vie sont ponctionnées par les mêmes banquiers centraux….

Apple tout comme ses coreligionnaires est riche. Très riche. Puissante. Très puissante. Mais à quoi sert ce « boosting » organisé par les banquiers centraux? Quel rôle ces firmes transnationales auront-elles à tenir à l’avenir? Prise de pouvoir par les firmes transnationales? Remplacer les Etats? Co-gouverner avec eux?

Et ce goût de toute-puissance face aux collaborateurs, que doit-il nous indiquer quant à l’avenir culturel et moral de nos sociétés? Iniquité? Favoritisme? Asservissement? esclavage peut-être? … En ignorant ces questions et surtout leurs réponses, nous devenons consentants quant au futur régime qui risque de s’abattre sur l’humanité…

Liliane Held-Khawam

Les taux d’intérêts négatifs ou la douce confiscation progressive
Les banques centrales fabriquent les bulles. Par Bruno Bertez

4 réflexions sur “Les banquiers centraux enfantent les concurrents des Etats: l’exemple de Apple, par Liliane Held-Khawam

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  2. Bonjour Madame,

    Tout d’abord, merci pour la qualité de vos articles (je précise au passage que je me permets pour certains de les reproduire sur mon « petit blog » en indiquant les liens)..

    Ensuite, je me permettrai une nuance sur le phénomène Apple en lien avec les Banques Centrales: certes ces dernières amplifient les « volumes » par leurs politiques plus que favorables pour certains acteurs…mais il convient aussi d’indiquer que pour vendre, il est nécessaire que certains achètent. Or, les comportements et surtout les récentes évolutions sont assez hallucinantes (du mon de mon point de vue tout du moins):
    – les acheteurs dépensent des sommes de plus en plus élevées pour leurs « smartphone »,
    – ils en changent de plus en plus fréquemment,
    – ils n’ont pas de recul ou d’esprit critique par rapport à l’usage des technologies (victoire du positivisme?),
    – ils deviennent idolâtres (lorsqu’on parle avec des possesseurs de produits Apple, c’est parfois assez ahurissant ! sans même parler de ceux qui se font tatouer la pomme – no comment sur le symbole de celle-ci),
    – ils ne sont pas attentifs aux process de fabrication,
    – d’une certains manière, ils tendent le bâton pour se faire battre et favorisent la « big brotherisation », cette dernière étant à mettre en perspective avec les restrictions relatives au « cash » dont vous avez également fait mention dans de précédents articles.

    Nous sommes collectivement d’une certaine manière des Dr Frankenstein inconscients. Mais les créatures deviennent de plus en plus monstrueuses…

    Il est nécessaire de se « re-responsabiliser » et ce, dans une fenêtre historique qui favorise la déresponsabilisation.

    Sincères salutations.

    Yves B.

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