Comment faire baisser le chômage et sauver la planète grâce au commerce équitable? Nicolas Meilhan

Vive la mondialisation !

Après 30 années pendant lesquelles le développement de l’activité mondiale était principalement axé sur le développement des économies nationales et de leur population – les 30 glorieuses, la mondialisation progressive de l’investissement et des échanges commerciaux depuis le début des années 80 a amené les investisseurs à exiger des retours sur investissement de plus en plus élevés – 10 à 15% alors que la norme était plutôt de 5% pendant les 30 années précédentes.

Afin de pouvoir augmenter la rentabilité des capitaux investis, les entreprises se sont alors développées hors de leur frontières pour élargir leur base de clients accessibles tout en réduisant leurs coûts en délocalisant une partie de leur production dans des pays avec une main d’œuvre très bon marché, pays ne respectant souvent aucune norme de protection de l’environnement.

Ce développement à l’international, plus communément appelé mondialisation, fut notamment possible pour trois raisons principales :

  1. Le différentiel de développement social (et donc de coût du travail) entre les économies développées (Etats-Unis, Japon, Europe de l’Ouest) et les économies en voie de développement (Europe de l’Est, Asie)
  2. Un pétrole abondant et peu cher avec des coûts de transports moins élevés que le différentiel de coût sur la main d’œuvre
  3. L’inexistence de normes environnementales contraignantes au niveau mondial

Les grandes entreprises mondiales ont donc privilégié à tout prix la rentabilité des capitaux investis, au détriment des emplois locaux et de la planète – on pourrait appeler cela l’économie négative.

La clé des prochaines années sera de changer de paradigme pour passer d’une économie négative à une économie positive, où la rentabilité des entreprises ne se fera plus au détriment des emplois et de l’environnement mais en améliorera la condition.

En effet, le chômage n’a jamais été aussi élevé en Europe depuis 15 ans avec presque 20 millions de demandeurs d’emploi et plus de 11% de la population active de la zone Euro – entre 2003 et 2009, l’Europe perdait 3,3 millions d’emplois alors que la Chine en créait 56 millions.

De plus, la pollution de l’eau, de l’air et des sols ont des impacts dramatiques sur la santé non seulement des êtres humains mais aussi de tous les écosystèmes naturels dans lesquels nous vivons.

Enfin, le pétrole,bien que temporairement meilleur marché, devrait revenir d’ici 2 ans à des prix à trois chiffres, comparables aux chocs pétroliers des années 70, ses coûts d’extractions augmentant inexorablement avec la raréfaction de sa disponibilité[1]

A cet égard, il n’est pas inutile non plus de rappeler que nos importations de pétrole et de gaz représentent presque 80% de notre déficit commercial– 46.5 Mds d’Euros sur 60 Mds d’Euros en 2013 – et que la moitié de la dégradation de notre déficit commercial ces 10 dernières années n’est liée qu’à l’augmentation des prix du pétrole et du gaz.

La solution ? Le commerce équitable!

Afin de permettre non seulement l’épanouissement des populations locales mais aussi la préservation (après la réparation) de notre planète, l’économie mondiale doit petit à petit faire marche arrière pour passer de la mondialisation excessive à la relocalisation partielle de l’activité, étant donné l’augmentation inexorable à moyen terme du coût du pétrole mais aussi la volonté des Etats de favoriser l’emploi local de leurs entreprises dans un contexte de chômage élevé.

Il faut, dans la mesure du possible, produire localement ce que l’on consomme afin de réconcilier le consommateur avec le producteur, qui tout au bout de la chaîne est le consommateur comme Henri Ford l’avait bien compris – il faut favoriser l’avènement du « prosommateur ».

Si cette tendance de fond caractérisera les 30 prochaines années, la vitesse de la relocalisation ne dépendra principalement que de l’évolution du prix du pétrole et de la réduction des différentiels de développement (et donc de coût du travail) entre les pays « plus développés» et les pays « moins développés », en créant une convergence par le haut des conditions de travail.

Afin non seulement d’accélérer ce processus mais aussi d’enfin réduire le chômage de masse en Europe, réduire la pollution  et améliorer la condition des travailleurs des pays en voie de développement – esclaves des temps modernes, il est temps mettre en place des mesures permettant le commerce équitable.

  1. Le commerce équitable social

Depuis 1990, 300000 emplois industriels (120000 entre 1990 et 2000, 180000 depuis 2000) ont été détruits à cause de la délocalisation de l’activité.

Certains des produits fabriqués à l’étranger sont alors réacheminés en France pour y être revendus.

Un des derniers exemples en date – Renault qui créé une usine à Tanger au Maroc pour fabriquer une voiture à 8000€, dont seulement 15% de la production sera écoulée sur place. Produire au Maroc avec des ouvriers payés 250€ par mois permet à Renault d’économiser 800€ par voiture soit 20% du coût de cette voiture.

Par conséquent, en instaurant des mesures de commerce équitable social aux frontières de l’Europe pour les entreprises européennes ayant délocalisées leur production hors d’Europe afin de réduire leurs coûts tout en revendant ensuite leur production en Europe, nous préserverons les emplois industriels européens tout en réduisant notre consommation de pétrole et nos émissions de CO2.

Cela permettra aussi d’instaurer les conditions nécessaires à la ré-industrialisation du continent Européen.

Ces mesures pourraient être mises en place  par exemple aux frontières de la zone Euro afin de se prémunir des différences importantes de coût du travail au sein même de l’Europe, notamment avec les pays d’Europe de l’Est – le coût du travail dans l’industrie manufacturière est de 37 euros de l’heure en France, à comparer avec les 23 euros de l’Espagne, les 10 euros du Portugal, les 8 euros de la Pologne et les 4 euros de la Roumanie.

Nous pourrons enfin imposer par la force cette convergence sociale européenne liée au succès de toute monnaie unique en incitant les pays d’Europe de l’Est à améliorer significativement les conditions de travail de leurs employés s’ils veulent vendre leurs produits dans le marché de la zone Euro.

Par ailleurs, ce commerce équitable social permettra de se protéger d’un phénomène plus récent – la délocalisation des emplois dans les métiers de services. Les travaux de la Commission des Finances du Sénat avaient estimé en 2005 le potentiel de délocalisation de ces métiers de service à 200000 emplois entre 2006 et 2011 [2]

  1. Le commerce équitable environnemental

La transition énergétique des énergies fossiles vers les énergies décarbonnées ne sera possible que si ce commerce équitable environnemental est mis en place aux frontières de l’Europe.

Si nous prenons l’exemple de la filière photovoltaïque française, elle se résumait pour l’instant par l’installation de panneaux solaires chinois, produits dans des conditions de respect de l’environnement déplorables en Chine. Par conséquent on améliore un peu l’environnement en France tout en le dégradant fortement en Chine, ce qui ne fait aucun sens, la facture environnementale étant globalement négative pour la planète.

Par conséquent, il est important de pénaliser les produits dont la fabrication se fait au détriment de la planète. Les entreprises, si elles veulent avoir accès au plus grand marché mondial qu’est l’Union Européenne, devront améliorer leur processus de production et seront encouragées à le faire car le coût d’amélioration sera moindre par rapport aux pénalités à payer.

Plus qu’une punition, cette mesure serait enfin une incitation non contraignante afin de réparer notre planète, après les échecs multiples des négociations internationales à ce sujet. Bien que ces mesures ne soient pas contraignantes, peu d’entreprises pourront se passer des débouchés offerts par le marché unique européen, qui je le rappelle est le plus grand marché mondial.

Ces mesures ne sont pas nouvelles puisque des incitations allant dans ce sens à l’échelle française et européenne ont déjà été mises en place : bonus/malus pour les voitures en fonction de leurs émissions de CO2, punitions au niveau de la commission européenne pour les constructeurs automobiles ne respectant pas les objectifs d’émission de CO2 fixé par l’ACEA.

La transition énergétique et l’emploi – un cercle vertueux

La transition énergétique s’appuie non seulement sur les économies d’énergies mais aussi sur le développement des énergies peu émettrices de CO2 afin de pouvoir à terme substituer la part majoritaire d’énergie fossile carbonée dans notre consommation (80%) par de l’hydraulique, de la biomasse et du nucléaire, mais aussi de l’éolien, du solaire et de la géothermie dans des proportions plus limitées.

Cette transition énergétique représente un vivier de nouveaux emplois locaux avec le développement de nouvelles filières industrielles nationales comme le solaire et l’éolien, qui ne sera permis que par ce commerce équitable social et environnemental.

Afin de réduire la consommation d’énergie, nous devrons :

  1. Isoler le parc immobilier existant en taxant les plus-values sur cession en fonction du DPE par exemple[3]
  2. Développer la filière industrielle de la voiture à 2 L/100 km, en produisant localement la majorité de ces différents composants[4]

Ces piliers de la transition énergétique représentent tous des emplois locaux au sein de nouvelles filières industrielles devenues pérennes grâce au commerce équitable à la fois social et environnemental mais aussi à un nouveau mode de fonctionnement entre les principaux acteurs qui se sont affrontés ces 30 dernières années pour rafler la plus grosse part du gâteau : la coopération au lieu de la compétition c’est à dire la « coopétition ».

En effet, n’est –il pas surprenant qu’un marché encore quasi-inexistant comme celui des voitures électriques ne soit déjà l’un des marchés les plus compétitifs au monde, mettant en danger les différents acteurs de la filière qui sont indispensables au succès de son développement.

Quel impact sur le chômage ?

Alors que le chômage atteint un niveau record en France depuis plus de 15 ans avec 3.5 millions de chômeurs, il est possible de recréer dans les prochaines années les 300000 emplois industriels détruits ces 20 dernières années en relocalisant la production des biens vendus en France et en Europe.

Si on y ajoute les métiers de service délocalisés ces 5 dernières années ainsi que les emplois liés à la transition énergétique – le conseil d’orientation pour l’emploi avait estimé à plus de 500 000 le potentiel d’emplois créés par la croissance verte [5], c’est plus de 1 million d’emplois qui pourraient être créés dans les prochaines années grâce à ce commerce équitable qui nous préservera de toute concurrence déloyale, qu’elle soit sociale ou environnementale.

Nicolas Meilhan, Ingénieur-Conseil Energie & Transport et Membre des Econoclastes

Source Les Econoclastes

[1] Le pic pétrolier n’aura pas lieu !

[2] La globalisation de l’économie et les délocalisations d’activité et d’emplois

http://www.senat.fr/rap/r04-416-2/r04-416-21.pdf

[3] Comment financer la rénovation thermique des bâtiments par la bulle immobilière?

[4] Comment sauver notre industrie automobile grâce à la transition énergétique ?

http://leseconoclastes.fr/2015/05/lindustrie-automobile-francaise/

[5] Croissance verte et emploi, Conseil d’orientation pour l’emploi, Janvier 2010
www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics//104000053/0000.pdf

2 réflexions sur “Comment faire baisser le chômage et sauver la planète grâce au commerce équitable? Nicolas Meilhan

  1. Je lis votre article avec grand intérêt.

    Dans les conditions de la globalisation vous n’évoquez pas la question de l’abondance du crédit , les innovations bancaires, la permissivité financière et monétaire. Or ce sont des conditions moins visibles, pus discrètes, mais elles sont nécessaires. Et ce sont elles qui gouvernent l’évolution de la mondialisation, on le voit en ce moment.

    Le monde a connu plusieurs phases de globalisation dans le passé et en particulier juste avant la première guerre mondiale, et toujours , elles ont coïncidé avec les éléments évoqués ci dessus: l’abondance monétaire et l’appétit pour le risque.

    Etant entendu qu’il faut traduire le mot « risque » par celui de « spéculation ». De même toute phase de Mondialisation coïncide avec l’émergence de la question d’une superpuissance et de son impérialisme, phénomène que l’on attribue à tort et par confusion à un retour du nationalisme.

    La guerre 14 est une guerre pour la suprématie impériale et non une guerre nationaliste.

    Voir les travaux de JP Chevènement sur ces questions.

    Cordialement bb

  2. Je suis d’accord sur cette analyse.

    La difficulté, c’est comment mettre en place tout ce programme : Un des gros freins, c’est l’Union européenne, dont le seul but est la libéralisation à outrance. Je n’ai pas l’impression que le mot « protectionnisme » (qui serait bien sûr nécessaire pour que la concurrence soit moins faussée) ait une grande place dans l’univers mental des
    décideurs de l’UE, qui agissent dans l’intérêt des multinationales, et donc contre le peuple.

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