Les autorités suisses ont déjà dit « oui » à l’Union Européenne: 3. La signature des Bilatérales II Suisse-UE. Par Liliane Held-Khawam

La multiplication des accords Suisse-UE : une adhésion de fait

D’accords en coopérations, la Suisse transfère toujours plus de compétences à Bruxelles. A chaque nouvel accord, Berne reprend ce que Bruxelles appelle les « acquis communautaires » (comprenez la législation de l’UE). Les textes présentés par le Département des Affaires européennes sont toujours aussi enthousiastes et mettent toujours en avant les bénéfices d’un accord en omettant les contraintes, les coûts et les pouvoirs transférés. Au vu du nombre d’accords et de leurs conséquences en termes d’alignement sur les « acquis communautaires », l’adhésion est déjà là dans les faits.

Les conséquences des accords bilatéraux II

Forts du succès de la votation sur les accords bilatéraux I (1), le Conseil fédéral signe en 2004 un nouveau paquet d’accords avec l’UE. Neuf thèmes y sont abordés. Mais contrairement aux Bilatérales I où l’ensemble des 7 contrats était « ficelé », ce deuxième paquet était constitué de 7 accords séparés les uns des autres. Le site de la Direction des affaires européennes (DAE) du Département des affaires étrangères l’expose ainsi:

« Les Accords bilatéraux II ont été signés le 26 octobre 2004 puis ratifiés par le Parlement suisse sous forme d’arrêtés fédéraux distincts le 17 décembre 2004. Sept accords étaient soumis au référendum facultatif. Un seul référendum a finalement été déposé, contre l’accord d’association à Schengen/Dublin. Le 5 juin 2005, le peuple suisse a approuvé cet objet par 54,6 % des voix. Contrairement aux Accords bilatéraux I, les Accords bilatéraux II ne sont pas liés juridiquement entre eux ; ils peuvent entrer en vigueur selon des modalités propres et indépendamment les uns des autres. Tous ces accords sont désormais entrés en vigueur, à l’exception de l’accord sur la lutte contre la fraude. »

Grâce à la modification du rôle du CF lors de la révision de la Constitution en 1999 qui lui donnait le pouvoir d’engager le pays dans bon nombre de traités internationaux, il incombait aux opposants d’aller chercher les signatures pour réclamer 7 référendums (2). Titanesque! Du coup, seul un référendum contre Schengen a été demandé et accepté par le peuple (3).

Ce qui est particulier dans ce nouveau paquet d’accords, c’est la pénétration de Bruxelles dans le domaine social, sociétal, fiscal… Nous dépassons le statut de l’union douanière commerciale pour entrer dans une union existentielle, voire essentielle. La DAE le reconnaît dans sa brochure. Elle relève ceci au sujet des bilatérales II: La seconde série d’accords, « les accords bilatéraux II », prend en compte de nouveaux intérêts économiques (industrie des denrées alimentaires, tourisme, place financière) et élargit la coopération entre la Suisse et l’UE à d’autres domaines importants dépassant le seul cadre économique, tels que la sécurité, l’asile, l’environnement ou la culture.

Il est dit plus loin : « De plus, les intérêts de la place financière suisse, et en particulier, le secret bancaire devaient être sauvegardés ». Cette affirmation ne pouvait là encore être faite que dans un contexte de communication.. Maintenir le secret bancaire et la place financière revient à donner le sentiment aux Suisses qu’ils ont encore du pouvoir et une autonomie au sein de l’Europe. Le secret bancaire aurait été une sorte de contre-pouvoir à celui du marché unique… Impensable !
Quelques accords qui complètent l’intégration

Les accords ci-dessous (annexe 1) montrent que le cadre d’un libre-échangisme commercial est largement débordé, donnant ainsi le sentiment que l’UE a réussi à s’installer dans les moindres coins et recoins du pays. Tous les thèmes inhérents à la gouvernance d’un pays y passent avec, à chaque fois, la reconnaissance des fameux « acquis communautaires » et leur reprise par le gouvernement suisse.

Schengen-Dublin

La Suisse avait déjà signé la libre circulation des personnes mais cela ne suffisait manifestement pas. Il fallait faire tomber les frontières. D’où Schengen. Celui-ci va nettement au-delà. En Mars 2004, la veille d’un sommet Suisse-UE, des contrôles renforcés à la frontière germano-suisse ont créé des bouchons gigantesques. Il faut dire que la Suisse accueille un nombre important de frontaliers français mais aussi allemands. Certains s’étaient demandé à l’époque s’il fallait y voir une pression (3) pour faire aboutir l’accord sur Schengen…

Le 18 mai 2004, la réponse du CF au parlement contenait cet extrait : « Les développements récents aux frontières germano-suisses mettent en évidence l’importance des négociations entre la Suisse et l’UE sur l’association de notre pays à l’Accord de Schengen. A la demande de la Suisse, la coopération policière et judiciaire a été un objet de négociation des Accords bilatéraux II. En cas d’association, les autorités allemandes ne pourraient plus contrôler les personnes à la frontière suisse selon les modalités qu’elles appliquent actuellement. Il faut ajouter dans ce sens que même l’Accord de Schengen permet des contrôles à la frontière lors d’événements particuliers. » (4)

Au-delà des considérations touristiques, avec Schengen le fichage des empreintes digitales des requérants d’asile est prévu Avec Schengen, on voit tomber des frontières en matière de protection de données. On assiste à l’arrivée des échanges de données prévus bien-sûr dans un cadre de surveillance de criminels et de terroristes, mais aussi de suspects. Bref, une brèche est ouverte dans la souveraineté de la Suisse à gérer de manière autonome la base de données de ses citoyens.

Europol

En même temps que Schengen arrive un autre accord moins connu mais encore plus important appelé Europol signé le 24 septembre 2004. L’Assemblée fédérale l’approuve le 7 octobre 2005 et il est entré en vigueur le 1er mars 2006 (5). Ce jour-là, la Suisse a fait sienne les lois issues d’Europol.

Europol est un organe supranational européen de police. Basé aux Pays-Bas, il reçoit des officiers de liaison nationaux délégués par les Etats-membres de l’UE. La Suisse par cet accord fait de même (article 14 al 1). Mais l’inverse est aussi vrai. Des officiers de liaison d’Europol peuvent être présents sur sol suisse. Voici ce que l’article 15 de l’accord prévoit à leur sujet dans l’alinéa « 3. Les biens et les avoirs de l’officier de liaison Europol, en quelque lieu qu’ils se trouvent et quels qu’en soient le détenteur, ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, confiscation, expropriation ou de toute autre forme de contrainte exécutive, administrative, judiciaire ou législative. »

L’alinéa 5 lui octroie une souveraineté territoriale réservée aux ambassades. »5. Les archives de l’officier de liaison sont inviolables. Ces archives contiennent tous les registres, correspondances, documents, manuscrits, fichiers informatiques, photographies, films et enregistrements appartenant à l’officier de liaison ou détenus par lui. »

Fiscalité de l’épargne et pensions des fonctionnaires de l’UE

Un exemple savoureux est celui de la chasse à la fiscalité de l’épargne déposée en Suisse. Elle devient d’un coup un sujet brûlant alors que des paradis fiscaux anglo-saxons prospèrent sous le soleil. Toutefois, un accord à part entière traite des fonctionnaires de l’UE. Il y est prévu qu’ils soient exonérés d’impôts sur sol suisse…

Statistiques

Le plus grave de tous ces points est probablement celui sur les statistiques où la Suisse donne accès aux fonctionnaires européens aux données nationales que les citoyens (individus et entreprises) lui communiquent en tant qu’Etat. Il fallait pour signer pareil contrat que Berne reconnaisse en Bruxelles une autorité qui lui est supérieure…

Eurojust

Le modèle d’Europol est élargi en 2008 à la justice. Cet accord permet d’échanger des agents – notamment des procureurs – avec Bruxelles.

Education, formation professionnelle, jeunesse en 2010

Une reprise de programmes d’enseignement pour jeunes et moins jeunes est prévue. La théorie du genre est une reprise potentielle de ce que l’UE peut imposer à la Suisse. Chaque année des programmes sont fixés entre l’UE et l’ensemble des Etats membres auxquels s’ajoutent tout naturellement la Suisse.

Coopération avec l’agence européenne de défense (AED)

Ce sujet est passé pratiquement inaperçu. La Suisse neutre est allée rejoindre ce programme dont le budget est de 30 milliards de $. La Grande-Bretagne s’était retirée l’année précédente, la Suisse est venue apportée entre autre sa contribution financière…(7)

Collaboration entre les autorités en matière de concurrence

Signée en 2013 cette collaboration est en réalité une surveillance afin que la libre concurrence soit bien respectée sur territoire suisse. Bruxelles met en place les moyens nécessaires pour contrôler par elle-même.

Navigation par satellite

Même la navigation par satellite est soumise à un accord en 2013. Il faut bien dire que la présence de la Suisse est précieuse car elle contribue financièrement à chacun de ces contrats.

Une adhésion échelonnée

Les accords avec l’UE semblent de plus en plus pénétrer le quotidien des Suisses et s’intéressent même à leur éducation/formation! Ce sont des accords d’ordres politiques, économiques, financiers, militaires, juridiques, sociaux, sociétaux, culturels qui se multiplient chaque jour. A cette liste publique viennent s’ajouter d’autres processus d’intenses collaborations pour le moins qui se font en parallèle via la BNS, la FINMA, la direction fédérale des Finances, la Cour des Comptes….
On peut conclure en disant que l’appellation d’accords bilatéraux sectoriels n’est pas adaptée. Parler d’adhésion à l’Union européenne, échelonnée dans un espace-temps d’une dizaine d’années, serait plus adéquat. Le hic c’est qu’elle se fait dans le dos du peuple…

Liliane Held-Khawam

Références

(1) Les accords bilatéraux I, ou le début d’une adhésion silencieuse de la Suisse à l’UE, Le Blog de Liliane Held-Khawam. http://lilianeheldkhawam.com/2014/05/19/les-autorites-suisses-ont-deja-dit-oui-a-lunion-europeenne-2-la-signature-des-bilaterales-i-suisse-ue/

(2) La Suisse est un concept en danger, Le Temps, 13.09.2013.  http://lilianeheldkhawam.com/2013/09/05/la-democratie-suisse-devoyee/

(3) Votation Schengen : Le 25 septembre 2005, le peuple suisse a accepté par 56% des votants l’extension de ces accords aux dix nouveaux membres de l’Europe de l’Est.

(4) L’Allemagne engorge la frontière suisse, Swissinfo. 9 mars 2004. http://www.swissinfo.ch/fre/A_La_une/Archive/L_Allemagne_engorge_la_frontiere_suisse.html?cid=3806172

(5) Mesures de rétorsion dans le trafic terrestre, Parlament.ch, 17.03.2004. http://www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20043121

(6) Accord entre la Confédération suisse et l’Office européen de police, Admin.ch, 24.09.2004 http://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20020040/index.html

(7) L’accord AED a été signé le 16 mars 2012.

Source : Chronologie des relations suisse- UE, Délégation de l’UE en Suisse. http://eeas.europa.eu/delegations/switzerland/eu_switzerland/chronology/index_fr.htm

Adoption, par le Conseil fédéral, de l’arrangement réglant la collaboration entre l’Agence européenne de défense (AED) et la Suisse. Source : Admin.ch, 15.02.2012. https://www.news.admin.ch/message/?lang=fr&msg-id=43429

Annexe : Descriptif officiel des thèmes concernant les bilatérales II

1) Schengen/Dublin: « la levée des contrôles systématiques de personnes à la frontière garantit la fluidité du trafic transfrontalier. Simultanément, les contrôles aux frontières extérieures de l’Espace Schengen sont renforcés, de même que la coopération policière et judiciaire, ce qui permet de mieux lutter contre la criminalité. Les règles de Dublin sur l’État compétent en matière d’asile et la base d’empreintes digitales Eurodac contribuent, pour leur part, à éviter les demandes d’asile multiples, ce qui permet de soulager les systèmes d’asile nationaux. »

2) Fiscalité de l’épargne: « « la Suisse prélève pour le compte des États membres de l’UE une retenu sur les revenus de l’épargne des personnes physiques, ayant leur domicile fiscal dans l’UE ». »

3) Lutte contre la fraude: « la coopération est étendue afin de mieux lutter contre la contrebande et d’autres formes de délits en matière de fiscalité indirecte (droits de douane, TVA, impôts sur la consommation), de subventions et de marchés publics. »

4) Produits agricoles transformés: « les droits de douane et les subventions à l’exportation sont supprimés pour de nombreux produits issus de l’industrie agroalimentaire. »

5) Environnement: « la Suisse devient membre de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), un organisme de coopération important dans le domaine de l’environnement. »

6) Statistique: « la collecte des données statistiques est harmonisée afin de garantir l’accès à une large base de données comparable, élément essentiel pour informer toute prise de décision en économie comme en politique. »

7) Médias: « les professionnels suisses de l’industrie cinématographique peuvent bénéficier des programmes européens de promotion du film. »

8) Pensions: « la double imposition frappant les fonctionnaires de l’UE retraités établis en Suisse est levée. »

9) Éducation: « dans le cadre des Bilatérales II, seule une déclaration d’intention avait été adoptée sur la participation de la Suisse aux programmes communautaires d’éducation et de formation 2007-2013. L’accord à proprement parler a été signé le 15 février 2010. »

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