L’indépendance de la Banque nationale suisse en question. Paru dans Le Temps du 28 septembre 2011

BNS réserves de change

Le peuple suisse  subit un cumul de peines. La fonte de son patrimoine, la perte de son autonomie, le passage automatique à la caisse pour des décisions qu’il n’a pas prises, le risque d’être avalé par l’UE.

Le 15 septembre, on apprenait que quelques petits milliards venaient de partir en fumée à UBS Londres! L’auteur indiqué, un jeune diplômé en informatique, s’est trouvé propulsé en 5 ans de stagiaire à trader en produits dérivés sophistiqués! En moins de 5 ans, on lui a confié la gestion d’un portefeuille de plus de 10 milliards de francs et laissé spéculer! Cela reflète de réels problèmes de recrutement, de supervision, d’évaluation de poste chez UBS. Les compétences habituellement requises pour un poste de trader semblent avoir été négligées pour laisser la place à un style proche du «flambeur». Par ailleurs, cet employé aurait spéculé contre la Suisse.

La dérive d’UBS n’est pas sans nous rappeler le drame de Swissair. Ces deux entreprises florissantes, assises sur d’importants capitaux ambassadrices de l’excellence du Swiss made se sont lancées sans besoins réels dans la course à la croissance à travers une internationalisation non maîtrisée où elles ont dénaturé leur identité suisse allant pour UBS jusqu’à la supprimer de son nom! Elles se sont tournées vers un marché financier vorace et spéculateur se soumettant à des critères de gigantisme, de performance et de navigation à vue. Leur centre de gravité n’était plus leur identité mais le diktat d’un marché volatil. Elles se sont égarées en perdant les repères d’entreprises nationales mais les retrouvent le temps de faire payer le peuple pourtant étranger à leurs stratégies mégalomanes.

Le comportement de la BNS de ces dernières semaines nous fait craindre une répétition du scénario à la Swissair ou UBS. La similitude réside dans le fait qu’une poignée de dirigeants sont aux manettes d’une organisation très riche dans un monde à la dérive et affamé assumant seuls des décisions stratégiques. L’inquiétude dans le cas de la BNS est que l’impact financier de ces décisions concerne le présent et le futur de l’ensemble du patrimoine du pays. Ce petit pays, autonome, riche, leader mondial de la compétitivité est en croissance malgré le marasme des marchés. C’est le fruit d’un riche tissu de PME/PMI novatrices et dynamiques doublé d’une population à fortes compétences, qui a les pieds sur terre et des racines paysannes freinant toute idéologie politico-économique par la grâce de sa démocratie directe. D’autres atouts tels que sa santé financière, la quasi-absence de corruption et sa compétitivité agissent comme un aimant sur les capitaux internationaux à la recherche d’un abri et sur les multinationales à la recherche de stabilité sociale et de compétences pointues. Cela fait du franc suisse une valeur refuge.

Or, contre toute attente, la BNS décide de manière unilatérale et publique de soumettre le franc suisse prospère à l’euro en sursis! Cela soulève un double problème urgent: la pertinence en termes d’investissement et la légalité de la décision. La BNS engloutit quotidiennement des sommes faramineuses dans l’achat d’une monnaie en perte de vitesse y compris face au dollar, lui-même très malade. L’euro court un risque réel de disparaître prochainement. Les euros et les titres libellés dans cette monnaie partiraient alors totalement en fumée. A cela s’ajoute de l’avis des spécialistes un risque élevé d’inflation et de perte de pouvoir d’achat! En clair, la BNS a de grandes chances d’affaiblir non seulement le franc mais l’ensemble du pays.

La décision de la BNS est-elle légale? Est-elle autorisée à renoncer à son indépendance par sa propre décision? Elle est la gestionnaire de fortune du peuple suisse qui est souverain selon la Constitution. Comment peut-elle aliéner cette souveraineté en offrant l’indépendance du franc à l’Union européenne? Serait-elle compétente par exemple pour suspendre les transactions en franc au profit de l’euro? Est-ce que la BNS pratique un sauvetage de l’euro et de sa zone avec l’argent du peuple suisse malgré lui? Estime-t-elle que les problèmes de l’euro sont plus importants que la souveraineté du peuple suisse? Est-ce une première étape vers l’adoption de l’euro et peut-être plus encore? Bref, jusqu’où peut aller la BNS sans en référer au peuple ou à ses élus? Sa souveraineté prime-t-elle sur la souveraineté du peuple en cas de divergence d’opinion? Si oui, cela signifie que la BNS est hors du système démocratique et de toute législation qui reconnaît le peuple comme souverain! La question est non seulement importante mais existentielle par les temps qui courent.

L’argument de la BNS pour l’arrimage à l’euro est l’exportation. Les industries exportatrices provisionnent habituellement pour les fluctuations connues du franc. Dans tous les cas, les coûts éventuels sont sans commune mesure avec la masse financière injectée peut-être à fonds perdus. Reste la problématique des grandes banques suisses qui ont prêté massivement à des privés et des collectivités publiques en franc suisse dans la zone euro et qui peinent à rembourser… Est-ce que la BNS pratique le sauvetage des grandes banques et de leurs clients en faisant passer tout le monde à la caisse?

Le peuple suisse subit un cumul de peines: la fonte de son patrimoine, la perte de son autonomie, le passage automatique à la caisse pour des décisions qu’il n’a pas prises, le risque d’être avalé par une UE qui lui mène la vie dure et ne lui reconnaît que la qualité de facilitateur de fraude fiscale. Une dernière peine relevée et non des moindres est le fait de ne pas être souverain au niveau des décisions stratégiques de la gestion de son patrimoine! C’est un réel talon d’Achille! Le modèle de démocratie suisse qui reconnaît le peuple comme souverain doit être évalué au vue des marges de manœuvre que s’octroie aujourd’hui la BNS. Il est indispensable qu’elle évolue dans une «territorialité» soumise à la souveraineté du peuple ne serait-ce que pour les décisions stratégiques. Le succès helvétique croît sur le terreau de sa démocratie, trésor immatériel inestimable et… fragile.

Liliane Held-Khawam

4 réflexions sur “L’indépendance de la Banque nationale suisse en question. Paru dans Le Temps du 28 septembre 2011

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